Le tour de passe-passe politico-médiatique est connu : on colle une étiquette sur un phénomène ou un personnage, et l’on prétend que cela suffit à le définir, à l’expliquer et, souvent, à le condamner. « Populisme » recouvre ainsi toutes sortes de comportements individuels et de manifestations collectives associées aux « heures sombres » et aux restes « nauséabonds » du siècle passé.
C’est ainsi que l’on masque les fils nombreux et visibles qui relient les causes aux conséquences dans les sociétés régentées par les tenants du libéralisme économique. Partout, la violence des prétendues « thérapies de choc » a provoqué des désastres suivis, à plus ou moins court terme, de réactions populaires. Tel est encore le constat qui résulte aujourd’hui de la situation dans trois pays très différents.
Au Chili, sous l’égide de Pinochet, les disciples de Milton Friedman ont pu appliquer un programme de privatisations, de baisse des dépenses sociales et de chômage de masse grâce à un système de terreur. Le retour de la démocratie n’a pas été suivi d’une politique de reconstruction économique et sociale puisque le peuple chilien continue de subir le système des retraites par capitalisation, le surendettement, la pauvreté massive et la domination d’une caste richissime. Après bien d’autres augmentations, celle du ticket de métro a provoqué une révolte populaire sauvagement réprimée mais qui commence de produire des résultats positifs puisque la Constitution en vigueur depuis la dictature va être abrogée.
Le Liban (1) subit quant à lui l’héritage de la guerre civile et du système confessionnel, auxquels sont venus s’ajouter les problèmes posés depuis 2011 par les réfugiés syriens. Mais, depuis octobre, la révolte du peuple libanais a été directement provoquée par les injonctions de l’Union européenne et du FMI : à la suite d’un accord de libre-échange entre le Liban et Bruxelles qui a aggravé le déficit extérieur, il était prévu tout un programme de privatisations et d’austérité budgétaire impliquant la compression des dépenses sociales et éducatives ainsi que l’augmentation de nombreuses taxes – dont celle portant sur le réseau WhatsApp qui a mis le feu aux poudres. Ce mouvement protestataire, qui a obtenu la démission d’un gouvernement corrompu, incapable d’assurer les fonctions étatiques, est inspiré par un profond sentiment national conduisant à une remise en cause aussi spectaculaire que radicale du système confessionnel.
La France est elle aussi soumise à un traitement de choc ultralibéral qui a pour objectif de détruire « l’État-providence », puis l’État en tant que tel. À la différence du Chili et du Liban, la « gouvernance » locale peut s’appuyer depuis vingt ans sur le moyen très efficace de contrainte que constitue la prétendue « monnaie unique ». L’euro est une machine à écraser le pouvoir d’achat. Couplé aux dispositifs inscrits dans les traités européens – équilibre budgétaire, principe de concurrence – il installe une logique violente qui provoque la destruction de l’enseignement public et de la recherche, du transport ferroviaire, de l’hôpital public et de l’administration centrale.
Depuis un an, la révolte des Gilets jaunes a révélé la puissance d’une large fraction des classes populaires appauvries, précarisées et marginalisées. Celles-ci ont arraché à l’oligarchie des concessions que les syndicats n’avaient pas su obtenir. Aujourd’hui, la crainte qu’elles inspirent retarde la réforme des retraites – c’est-à-dire la nouvelle phase de paupérisation des classes moyennes et populaires. Les Gilets jaunes ont également révélé, à leurs dépens, la violence dont l’oligarchie était capable : 2 500 manifestants blessés dont 24 éborgnés, une personne tuée par un éclat de grenade ; 10 000 gardes à vue pour moitié injustifiées ; 3 200 condamnations prononcées entre novembre 2018 et juin 2018 ; 400 Gilets jaunes condamnés à une peine de prison ferme.
Cette violence de classe est inopérante. Depuis le mois d’octobre, la grève de la RATP, les arrêts de travail à la SNCF, la longue grève des urgences hospitalières, la colère des étudiants à la suite de l’immolation par le feu d’un de leurs camarades et les manifestations de Gilets jaunes les 16 et 17 novembre annoncent une mobilisation massive le 5 décembre et rend enfin plausible le mot d’ordre de grève générale.
Les mouvements qui soulèvent le Chili, le Liban et la France ont, par-delà toutes les différences de situation, trois points communs : ce sont des mouvements patriotiques et démocratiques qui sont en quête, contre les gouvernances oligarchiques ou claniques, d’un gouvernement selon l’intérêt général. La reconstruction économique et sociale des nations suppose des institutions politiques capables de mettre en œuvre la justice et la liberté.
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(1) L’article de Frédéric Farah et de Jérôme Maucourant publié dans Marianne le 28 octobre : « Soutenir le peuple libanais : une chance historique pour l’Union européenne. »
Editorial du numéro 1177 de « Royaliste » – 18 novembre 2019
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