Luc Beyer : Un journaliste exemplaire

Fév 21, 2005 | Chemins et distances

 

Les souvenirs des reportages de Luc Beyer de Ryke sur les chemins d’un Orient à tous égard meurtri par ses guerres civiles constituent une grande et belle leçon de journalisme.

A un quidam qui s’enquerrait du métier de Chateaubriand, celui-ci répondit d’un seul mot : « journaliste ». Voilà qui honore notre profession, aujourd’hui saccagée par la gens mediatica qui discourre sur l’éthique, la morale et la religion en attendant les décaissements d’un quarteron de banquiers et d’industriels.

Désigné comme le « Jacques Chancel » belge – pour des émissions plus et mieux travaillées que celle de notre ancienne gloire nationale – Luc Beyer de Ryke fut une des grandes figures des médias. Mais il demeurait, à la radio et à la télévision belges francophones, l’humble héritier de Chateaubriand, apparemment étiqueté par son nom et sa particule mais aussi inclassable et inattendu que le vicomte breton.

Luc Beyer est belge, francophone des Flandres et francophile éminent. Gaulliste, il milita pour l’Algérie française et fut condamné à mort par le FLN. Ancien parlementaire européen situé à la droite de l’hémicycle, il a pour compagne de vie et de reportage une journaliste à L’Humanité, à qui ce livre est dédié (1). Avec elle, il faillit être abattu dans une rue d’Alger par un islamiste, connut les attaques de F 16 sur les cibles palestiniennes, fut frôlé par le souffle des bombes humaines à Jérusalem…

Tel est le métier ? Sans doute. Mais imaginez ce qu’aurait pu faire de ces confrontations soudaine avec la mort notre célèbre fabricant de « romanquêtes » en son atelier germanopratin. Luc Beyer se contente d’accomplir sa tâche, sans se poser au centre du paysage et sans raconter qu’il a changé le climat. Comme un journaliste doit le faire, il va voir, rapporte ce qu’il a vu et entendu, dit clairement ce qu’il pense des hommes et des situations – à la différence de ces « grands professionnels des médias » qui affectent, au nom de l’objectivité, une neutralité barbouillée de cynisme.

Aucun lecteur ne se trouvera en plein accord avec l’ensemble des opinions que Luc Beyer de Ryke exprime sur la guerre civile libanaise ou sur la seconde intifada. Tant mieux. La normalisation médiatique détruit le débat civique sans ôter une once de violence au mouvement de l’histoire.

Mais l’essentiel n’est pas dans ces confrontations silencieuses. Ces « Chemins d’Orient » sont surtout riches de rencontres et d’évocations qui intéresseront les militants de tous les camps et qui réveilleront toutes les mémoires. Au fil des pages, ressurgissent des figures qui s’étaient presque effacées – celles de Pierre Lagaillarde, de Bachir Gemayel, de Charles Hélou…

Luc Beyer de Ryke brosse de remarquables portraits de dirigeants politiques presque oubliés ou très en vue qui sont éclairés d’une double manière : celle d’un vieux routier de la presse, celle d’un grand parlementaire libéral – dans le plus haute acception du terme.

Les évocations ne sont pas moins saisissantes. Voici Alger à l’heure du FLN puis pendant les années noires du terroriste islamiste. Voici, en 1991, l’exode des Kurdes trahis par les Américains. Voici enfin le crépuscule de Yasser Arafat, cloîtré dans la Mouqua’ta, vieil homme solitaire et malade, se berçant d’illusions aussitôt dissipées par son principal conseiller.

On voit naître des nations et s’affirmer des Etats, tandis que d’autres vacillent. La guerre civile est le fil rouge sang de ce livre qui relie l’Algérie, le Liban, l’Irak, Israël et la Palestine. C’est la guerre « la plus redoutable, la plus meurtrière de toutes car elle assassine les corps, les esprits et les âmes, parce qu’elle passe au milieu des familles, oppose le père au fils, le frère au frère, la sœur à la sœur ».

Au Maghreb et au Machrek comme en Afrique et en Europe de l’Est, les peuples continuent de subir les conséquences de la disparition de plusieurs empires et de vivre l’accouchement violent de nouvelles nations. La compassion moralisatrice ne changera rien aux convulsions historiques : à lire Luc Beyer de Ryke, il se confirme que les hommes d’Etat sont plus que jamais placés devant leurs responsabilités pour l’établissement de paix aussi justes et durables que possible.

***

(1) Luc Beyer de Ryke, Chemins d’Orient, Les déchirures, Algérie – Liban – Israël – Palestine, François-Xavier de Guibert, 2005.

 

Article publié dans le numéro 854 de « Royaliste » – 21 février 2005

Partagez

0 commentaires