Licenciement des six cents salariés d’ACT Manufacturing à Angers. Fermeture brutale de Palace Parfums en Seine Maritime, de Metaleurop dans le Pas-de-Calais, de Jégo-Quéré dans le Morbihan.
Annonce, en France et en Europe, de dépôts de bilan et de plans de restructuration (Arcelor) qui entraîneront la suppression de milliers d’emplois…
Comme naguère Lionel Jospin, Francis Mer se dit « révulsé par la manière ». Comme Elisabeth Guigou et Martine Aubry, Nicole Fontaine, ministre de l’Industrie, déclare qu’elle est « scandalisée ». Les simples citoyens qui ne savent comment venir en aide aux victimes de ce capitalisme sauvage, peuvent et doivent crier leur colère. Mais que les ministres en fonction nous épargnent la mise en scène de leur compassion !
Le gouvernement a le pouvoir de faire cesser les scandales sociaux par des projets de loi appropriés. Dans d’autres domaines (la petite délinquance, la prostitution, l’immigration clandestine), il fait étalage de sa capacité à réprimer et à punir pour répondre, dit-on, aux attentes de l’opinion. Mais curieusement, lorsque des Français se trouvent dans la situation d’insécurité dramatique qui fait suite à leur licenciement, les belles âmes gouvernementales leur adressent des messages de condoléances. A Angers, les salariés brutalement expulsés de leur usine par la police et leurs camarades de Daewoo récemment dénoncés comme « terroristes » sur une chaîne du service public n’oublient pas que les fragiles dispositions légales qui entouraient les suppressions d’emplois ont été suspendues et que le Premier ministre s’est déclaré pleinement solidaire du Medef lors du congrès de cette organisation.
Les ouvriers et l’ensemble des salariés de notre pays savent qu’ils n’ont rien à attendre d’un président de la République qui est supposé exercer une fonction arbitrale et d’un gouvernement censé « déterminer et conduire la politique de la nation ». L’arbitrage, pour Jacques Chirac, se réduit aux jeux de la majorité. La nation « réelle » , pour Jean-Pierre Raffarin et ses principaux ministres, trouve son expression dans les sondages sur le sentiment d’insécurité et sa représentation dans les deux corporations que constituent le Medef et la FNSEA et dans les féodalités régionales.
Qu’on ne s’étonne pas si des groupes de salariés, livrés aux décisions des groupes financiers pour le gouvernement et mollement soutenus par les confédérations syndicales, en viennent à commettre des agressions. Il en était de même à la fin du 19ème siècle, avant que le développement du syndicalisme d’action directe (ou « anarcho-syndicalisme ») permette l’organisation des luttes de classes dans une perspective révolutionnaire.
L’évocation de telles luttes est aujourd’hui inconvenante. Cela « fait marxiste », autrement dit c’est dépassé et intrinsèquement totalitaire. Ne nous laissons pas impressionner. On peut reconnaître l’existence et la nécessité des luttes de classes sans l’inscrire dans une problématique marxienne. La lutte des classes n’est pas le moteur de l’histoire, c’est aux auteurs libéraux (Guizot) que nous devons sa conception première et il est par trop sommaire d’opposer dans une lutte à mort bourgeois et prolétaires. Ce sont là de vieux débats, moins importants à nos yeux que ceux qui portent sur la nouvelle conception, tout aussi globalisante mais tièdement réformiste, de la lutte des classes. En gros, celle de la direction de la CFDT et de ses relais médiatiques qui opposent aux chantres de la globalisation ultra-libérale les combats menés par la « société civile mondiale ».
C’est là une fiction qui nous conduira à la défaite si elle continue de prévaloir. Les luttes de classes sont des luttes politiques, qui opposent des oligarchies nationales à des groupes multiples de salariés (ouvriers, employés, cadres) et qui doivent viser à un nouveau compromis social : celui que ferait prévaloir un Etat agissant selon son principe premier, la justice, par le moyen d’un programme politique de nationalisations et de redistribution équitable du revenu national. Cela n’exclut pas la solidarité internationale des salariés en lutte. Mais il faut commencer par le commencement : politiser les luttes sociales et les situer dans une perspective nationale de libération.
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Editorial du numéro 809 de « Royaliste » – 2003
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