Les agressions perpétrées contre les élus municipaux, qui ont pris un tour dramatique à Saint-Brévin, relancent le débat sur la violence politique. Comme d’habitude, la gouvernance déplore la brutalisation, balance des promesses qui ne seront pas tenues en oubliant sa propre responsabilité.

Quand la violence politique monte d’un cran, les principales réactions oscillent entre la récupération des demi-habiles et le relativisme des faux sages.

Le jeu qui consiste, à gauche, à dénoncer la violence de l’extrême droite sans voir celle de l’extrême gauche avant que la droite ne se livre à la même gymnastique est trop connu pour qu’on y insiste. La petite musique sur la violence politique qui a toujours existé, n’est pas moins exaspérante. Il est vrai que le niveau de la violence politique est beaucoup moins élevé que dans l’entre-deux-guerres ou pendant la guerre d’Algérie, mais le constat fait sur le moment présent ne dit rien sur le potentiel de violence que recèle la société. Or c’est la dynamique en cours qui doit inquiéter.

Il est vrai que la violence ne cesse de circuler dans la société, quels que soient son imaginaire et son mode de gouvernement. Cette violence circule dans divers canaux et se fixe sur différents objets sans qu’on puisse l’éradiquer car toute tentative en ce sens déclenche une violence encore plus grande. Le souci politique premier, qui procède des exigences communes de paix civile et de justice sociale, est de contenir cette violence à la manière dont un système de canalisations régularise un torrent fougueux et le transforme en force utile.

Le gouvernement doit remplir cette fonction apaisante en exerçant la force publique (1) selon la loi votée dans le cadre des institutions légitimes. L’ensemble des institutions, nationales, régionales et locales, participe de ce travail d’apaisement, de même que les partis politiques, les syndicats et les associations qui composent l’irremplaçable organisation démocratique de la nation. Tous, y compris dans leurs discours offensifs et leurs manifestations de rue, contribuent à la canalisation des pulsions violentes.

Ce banal rappel permet de pointer l’inquiétante singularité des facteurs qui produisent aujourd’hui de la violence. Nous ne sommes pas confrontés au risque de guerre civile comme dans la France des années trente ou pendant la guerre d’Algérie mais aux effets chaotiques de la décomposition politique. Celle-ci engendre une crise générale de l’autorité, dans la mesure où la gouvernance ne donne plus à la collectivité nationale son sens, c’est-à-dire sa signification et son orientation.

Il n’y a plus de président de la République, puisque la fonction arbitrale a disparu.

Il n’y a plus de gouvernement mais une gouvernance néolibérale qui pratique la disruption permanente, agrémentée de slogans vides de sens – “souveraineté européenne” par exemple.

La renaissance de la vie parlementaire qui aurait dû résulter des dernières élections législatives est ruinée par la brutalisation de la procédure parlementaire qui empêche que l’Assemblée puisse se prononcer sur un projet de loi récusé par la grande majorité des citoyens.

Les partis politiques se délitent sous nos yeux, qu’il s’agisse du parti-entreprise macronien, du non-parti mélenchonien ou de la déliquescence LR. Les fractions oligarchiques provoquent la violence par leurs “réformes”, le parti mélenchonien produit un spectacle violent qui masque plus ou moins ses incohérences et ses rivalités internes. Seul le Rassemblement national ressemble à un parti classique mais il est en train de sortir de l’ambiguïté : la virulence du discours xénophobe du Front national canalisait et neutralisait dans une large mesure les violences effectives alors que la notabilisation du RN laisse libre cours à l’activisme de l’ultra-droite.

Il faut donc se féliciter du renforcement des syndicats – et y militer activement quand on est salarié – que la gouvernance cherche à mater. Il faut aussi souligner le rôle positif et souvent décisif des élus locaux qui travaillent jour après jour dans des conditions difficiles au renforcement des liens sociaux et qui sont au premier rang en cas de crise – qu’il s’agisse de la récente crise sanitaire, des inondations, des incendies… Or ces élus sont de plus en plus exposés aux harcèlements procéduriers, aux insultes, aux menaces et aux coups. La démission du maire de Saint-Brévin, dont la maison a été incendiée à la suite d’une campagne de l’extrême droite contre l’installation d’un foyer pour migrants, est dramatiquement exemplaire de l’impuissance bavarde d’un ministre de l’Intérieur qui, par ailleurs, apporte de l’eau au moulin de l’ultra-droite en interdisant des réunions qui n’ont pas lieu de l’être.

Alors que l’extrême gauche anarchiste s’emploie depuis 2017 à déconsidérer la lutte syndicale par ses provocations au nom de la “révolution”, l’extrême droite prétend défendre l’ordre et “les valeurs” par ses violences contre des autorités locales remarquablement légitimes. Les visages du chaos sont innombrables.

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(1) Il faudrait en finir avec le cliché du pouvoir qui aurait le “monopole de la violence légitime”. On confond la force, légitime, et la violence, toujours illégitime.

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