Et maintenant, nous attendons le débat budgétaire pour savoir à quelle sauce austéritaire nous serons mangés. Le renouveau chaotique de la vie parlementaire va confirmer la fragilité de la gouvernance Barnier qui est de surcroît exposée au risque permanent de révolte sociale.
Nous avons attendu longtemps la désignation d’un Premier ministre et nous avons compté les jours jusqu’à la formation du gouvernement. Puis nous avons attendu la déclaration de politique générale qui a mis en valeur les dons d’équilibriste du Premier ministre, dans l’attente de la présentation du budget le 10 octobre. Mais cette année, le projet de loi de finances ne nous renseignera pas sur les dispositions qui seront effectivement votées puisque le gouvernement n’a pas de majorité.
Comme toute attente, la nôtre est jalonnée de distractions fugitives qui permettent de tuer le temps. Par exemple, on regarde évoluer Bruno Retailleau en se demandant si l’ogre vendéen va dévorer l’Etat de droit. Ou bien on imagine en lisant Le Figaro la détresse des riches qui se préparent à fuir en masse le pays pour échapper au terrorisme fiscal. Le Figaro informe ses lecteurs, il ne fait jamais pression, c’est bien connu.
Ce sont là de bien pauvres divertissements. Ils ne peuvent nous faire oublier que notre attente n’est pas de celles, impatientes et joyeuses, qui sont remplies d’espérance. L’ambiance porte à la résignation. Nous attendons de connaître les sacrifices que la classe dirigeante nous imposera pour limiter les dégâts provoqués par sa gestion calamiteuse et pour faire bonne figure devant la Commission européenne. Nous attendons la mise à mort de la gouvernance Barnier, qui ne peut pas ne pas se savoir sursitaire puisqu’on le répète du matin au soir dans les médias. Il est cependant probable que l’attelage ministériel tiendra quelques mois, non par ses capacités, mais parce que personne n’a intérêt à le faire tomber – pour l’instant ou pour le moment.
Et maintenant, parlons chiffres – ou plutôt annonces chiffrées. Nous ne sommes plus au temps où le Premier ministre pouvait annoncer un programme étayé de chiffres plus ou moins pertinents avec la certitude que le budget serait voté par sa majorité. Cet automne, la discussion budgétaire sera rude et les intentions ministérielles pourront être remises en question. Dans sa déclaration de politique générale, Michel Barnier est apparu comme un homme pondéré et le chahut organisé par La France insoumise a rehaussé l’image de cet homme parfaitement courtois. Mais la vie politique est, moins que jamais, une affaire d’image. Le nouveau Premier ministre a voulu assurer les divers groupes parlementaires qu’il comprenait leurs soucis et partageait leurs inquiétudes. Il veut tout à la fois revaloriser le Smic de 2% deux mois plus tôt que prévu, maîtriser les flux migratoires, faire exécuter les peines de prison prononcées, réduire le déficit public, améliorer le niveau de vie, imposer les gros contribuables, promouvoir une “écologie des solutions”… L’ensemble des annonces forme un catalogue tout à fait convenable, qui respecte le cadre assigné à toute gouvernance oligarchique.
Hélas, l’impression favorable laissée par Michel Barnier au soir de sa déclaration n’a pas duré 24 heures. Le 2 octobre, Bercy annonçait un plan d’économie de 60 milliards d’euros, qui serait réalisé par des hausses d’impôts (20 milliards) et par une réduction massive des dépenses (40 milliards). David Cayla a très justement souligné que le plan français était l’équivalent du plan d’austérité grec de 2010 et qu’il ferait basculer l’économie française dans la récession en 2025. De quelle manière et jusqu’à quel point ? Nul ne le sait. La gouvernance fait des annonces sur le nombre de contribuables astreints à une ponction exceptionnelle, sur les entreprises frappées par une hausse d’impôts, sur le report de l’indexation des retraites… mais elle ne maîtrise pas le débat parlementaire et la pluie d’amendements qui modifiera ou annulera les intentions exprimées. D’ailleurs, les menaces ont fleuri avant même que le projet de budget soit connu. Se sentant pousser des ailes de présidentiable, Gérald Darmanin s’est écrié que les augmentations d’impôts étaient “inacceptables”, refusé toute révision des allègements de charge pour les entreprises et contesté toute ponction fiscale “exceptionnelle” sur les plus riches. Marine Le Pen a pour sa part annoncé que le Rassemblement national s’opposera au report de la revalorisation des retraites, dénoncé comme un “vol”. Comme Gérald Darmanin est un coupe-jarrets quelque peu isolé, le Premier ministre n’a pas cillé. Comme sa survie dépend du soutien lepéniste, Michel Barnier s’est empressé de dire qu’on pouvait trouver “d’autres moyens” de faire des économies. Et ce n’est qu’un début, le bas de fer continue !
Michel Barnier ne maîtrise pas non plus la situation économique et sociale du pays, trop dégradée pour supporter une cure d’austérité. Dans un pays ou un Français sur quatre ne mange pas à sa faim et où six Français sur dix renoncent à se soigner, nous avons appris courant septembre que la crise de l’immobilier se poursuivait sans espoir d’embellie, que la filière viande était à l’agonie, que la récolte de blé était catastrophique, que plus de six millions de personnes sont inscrites à France Travail. Il faudra que la puissance publique vienne une fois de plus au secours des secteurs en difficultés et que l’Etat verse sous diverses formes des compléments de revenus aux travailleurs victimes de la précarité et de la compression salariale.
Si les dégâts provoqués par la purge austéritaire viennent s’ajouter aux effets de la crise endémique provoquée par le libre-échange et l’euro, la gouvernance devra affronter des révoltes sociales qu’elle ne pourra pas maîtriser – à moins de répandre des espèces sonnantes et trébuchantes pour éteindre l’incendie.
Pris dans le jeu des écuries de droite et de gauche qui préparent la présidentielle, soumis aux groupes de pression qui interdisent toute véritable réforme fiscale, placé sous la contrainte bruxelloise et menacé de troubles sociaux, Michel Barnier commande un navire sans gouvernail où, comme dirait Malraux, les rats ont mis des casquettes de capitaine.
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Article publié dans le numéro 1285 de « Royaliste » – 8 octobre 2024
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