Dans le milieu dirigeant, les vices privés ne sont plus recouverts par l’étalage de vertus publiques, mais par les romans-photos d’une vie privée impeccable mais qui ne trompe plus personne.
Il est rare qu’un auteur écrive dans sa conclusion que son livre ne servira à rien. Toute la démarche de Guy Birenbaum s’explique par ces quelques mots, qui sont ceux d’un désespéré actif. Plutôt que de se réfugier comme tant d’autres dans le silence ; il crie son dégoût pour les mœurs du milieu dirigeant. Il n’est pas le premier ! Mais en donnant des exemples et en citant des noms, il s’expose à une permanente ambiguïté, source d’incompréhensions et de violentes inimitiés.
Révéler les liaisons des uns et les enfants naturels des autres, faire allusion aux comportements sexuels délictueux et à l’usage de drogues, c’est prendre le risque d’être accusé de délation, de voyeurisme, d’exploitation commerciale des scandales, de règlements de comptes personnels et politiques.
Il est vrai qu’on lit ce livre dans l’agacement, avec la tentation de ne pas aller jusqu’au bout de cet étalage de vilains petits secrets qui n’est pas l’œuvre d’un archange. Proche des gens du Monde et d’Arnaud Montebourg, Guy Birenbaum partage les inimitiés et les aveuglements d’une fraction de la gauche que nous n’apprécions pas.
Pourtant, ce livre inutile était inévitable et demeure nécessaire. Inévitable parce que les personnages politiques cités ont franchi très consciemment les limites fixées par la coutume sociale et la raison politique. Nécessaire parce que, même si les mœurs de la classe dirigeante ne changent pas – et elles ne changeront pas – il importe de préparer, à gauche comme à droite, la fin de la « privatisation de la politique » et le retour à une stricte séparation entre la vie privée et la vie publique.
Guy Birenbaum ne demande rien d’autre. Il n’est pas moraliste et ne cherche pas à imposer au personnel politique le respect de vertus privées : il demande simplement qu’on cesse, en haut lieu, de diffuser le roman-photo d’une vie privée exemplaire alors qu’on se dissipe de diverses manières, qu’on cesse de réclamer des sanctions pour des délits qu’on commet soi-même (drogue, pédophilie), qu’on cesse d’associer sa femme ou sa fille à l’exercice de ses fonctions, qu’on clarifie les relations entre les gens de médias et les politiques car les liens entre le mari (ou l’amant) ministre et l’épouse (ou la maîtresse) journaliste nuisent gravement à la véracité de l’information.
Le livre de Guy Birenbaum est l’effet désagréable du scandale. Non sa cause – intolérable.
***
(1) Guy Birenbaum, Nos délits d’initiés, Mes soupçons de citoyen, Stock, 2003.
Article publié dans le numéro 823 de « Royaliste » – 13 octobre 2003
0 commentaires