Monarchie et antimonarchie dans la République (1) – Chronique 158

Juil 19, 2020 | Res Publica

 

A l’histoire plurimillénaire de la République (1), la France apporte une contribution majeure au fil d’évolutions et de révolutions qui ne sont certainement pas terminées. Dans le moment négatif que nous connaissons – celui d’une République décomposée par une oligarchie – il est nécessaire de revenir sur les dialectiques à l’œuvre dans la République moderne et sur les transformations décisives qu’elles ont opérées dans la tradition républicaine. Ce long travail de la raison politique est expliqué par Nicolas Roussellier dans l’ouvrage magistral qu’il a consacré à l’histoire du pouvoir exécutif en France depuis le XIXème siècle (2). Je le présente sous un titre qui paraîtra réducteur mais qui se justifiera au fil des analyses que je vais évoquer et dans mes remarques conclusives.

Le moment antimonarchique

D’emblée, Nicolas Roussellier met en évidence le problème majeur auquel se heurte cette fraction républicaniste (3) de la tradition républicaine qui voudrait que le peuple souverain se gouverne par lui-même ou par ses représentants. Telle est après 1789 la volonté de la gauche révolutionnaire, qui veut limiter au maximum les pouvoirs du roi, afin que la monarchie subsistante soit privée de sa force. L’antimonarchisme se situe alors dans le jeu institutionnel : il privilégie la fonction représentative au détriment de la fonction gouvernementale sous l’égide d’un monarque assigné à son rôle de premier fonctionnaire public. L’autorité royale demeure dans une certaine mesure, mais les pouvoirs du roi et du gouvernement sont réduits aux tâches d’exécution des décisions de l’Assemblée nationale.

Lorsque l’antimonarchisme trouve son plein aboutissement le 10 août 1792. La République semble être devenue vraiment républicaine selon la très problématique conception aristotélicienne de la politeia mais elle se trouve dès lors devant un premier paradoxe : ce libre gouvernement des citoyens affirme son identité dans le rejet de tout pouvoir gouvernemental qui ne serait pas réduit à ses strictes capacités exécutives et qui ne serait pas immédiatement révocable par la nation assemblée. L’anéantissement de l’autorité royale place ce pouvoir strictement exécutif devant un second paradoxe : l’Exécutif, c’est le pouvoir que l’on refuse mais ce refus ne produit pas une définition objective. On ne veut plus du roi, on se méfie des ministres et des bureaux, mais l’exécutif conserve une puissance d’agir considérable puisqu’il dispose de la force armée nécessaire à la défense de la nation et au maintien de l’ordre public. Robespierre a besoin de la puissance exécutive mais il pense que cette puissance est volonté de toute-puissance et s’acharne contre les ministres “fripons” et les innombrables comploteurs jusqu’au bref moment où il absolutise son propre pouvoir…

La contradiction entre le besoin de gouvernement et le rejet de la fonction gouvernementale marque tragiquement l’échec de la gauche révolutionnaire, qui ne donne pas à la République les institutions nouvelles qui auraient permis de combler l’éviction du roi. Cet échec affecte le courant républicain au XIXe siècle. Comme l’écrit Nicolas Roussellier, “l’idée même de République se définit beaucoup plus par le rejet de la figure de l’Exécutif que par un contenu positif auquel pourrait se rallier l’ensemble des fractions qui composent le “parti” républicain. Au XIXe siècle, la République est avant tout une anti-Monarchie. Elle est un régime qui se définit par l’absence de chef héréditaire et par la place mineure occupée par le pouvoir gouvernemental. Elle fait du rejet du pouvoir exécutif un préalable à toute réflexion sur la Constitution et une condition indispensable à toute pratique de la politique moderne. S’attaquer à la force du pouvoir exécutif apparaît ainsi comme le premier acte de l’expression de la volonté du peuple et comme la pierre fondatrice du projet de démocratie républicaine, mais il s’agit moins d’une pensée que d’une attitude, moins d’un acte de doctrine que d’un acte de foi”.

De fait, en 1870, Gambetta célèbre le suffrage universel et les libertés publiques mais admet qu’il ne sait ni définir ni organiser le pouvoir exécutif dont il reconnaît cependant la nécessité. Pour lui, c’est le suffrage universel qui institue la République sous la forme concrète d’une représentation parlementaire à laquelle le gouvernement ne peut faire obstacle. Mais cette opposition au pouvoir exécutif n’apporte aucune solution dans l’ordre de l’institution effective d’un régime politique articulant les différents pouvoirs. Au XIXe siècle, le républicanisme s’affirme par opposition au “pouvoir personnel” du roi puis de l’empereur et devient populaire en militant pour les libertés publiques et le progrès social. Cette visée émancipatrice s’accorde à un projet d’auto-organisation de la société et, comme le note Nicolas Roussellier, “quand il existe, le régime constitutionnel des républicains se trouve plutôt placé à la fin de l’Histoire et non en ses débuts ; il en garantit le cours comme horizon final mais il ne fonde pas son principe”. Pourtant, après la chute de Second Empire, c’est bien un régime politique qu’il faut instituer.

La Constitution monarchique de 1875

Faute d’avoir envisagé de manière positive la question de l’institution dans la République, les représentants du républicanisme ne sont pas en mesure d’élaborer un système constitutionnel en 1870. Ils se trouvent pris au dépourvu lorsque le suffrage universel envoie à l’Assemblée nationale une majorité monarchiste en février 1871, au sein de laquelle les orléanistes ont la prépondérance. Les orléanistes apportent une très longue expérience constitutionnelle : celle des monarchiens et des monarchistes libéraux dans les trois premières années de la Révolution française, celle des députés qui installent le parlementarisme sous la Restauration et la monarchie de Juillet. Ils sont à l’origine de la responsabilité ministérielle et ils ont imposé le droit d’amendement et l’examen du budget. Étrangers aux nostalgies du traditionalisme, ils s’appuient sur une réelle intelligence de l’histoire ; ils bénéficient surtout d’une théorie cohérente de la monarchie parlementaire et d’une pratique politique qui les a menés tantôt au gouvernement, tantôt dans l’opposition parlementaire. “Les monarchistes sont placés au cœur du constitutionnalisme moderne, écrit Nicolas Roussellier, parce qu’ils conçoivent les constitutions comme des traités de paix entre monarchie et nation, c’est-à-dire entre pouvoir exécutif et pouvoir législatif”. C’est pourquoi ils deviennent les législateurs du nouveau régime politique, dont ils posent les “principes fondateurs” comme le reconnaît Louis Blanc.

Les traités de droit constitutionnel soulignent classiquement le caractère “monarchiste” ou “orléaniste” de la Constitution de la IIIe République, avec son gouvernement responsable devant le Parlement bicaméral et son président de la République élu pour sept ans dans l’attente du successeur du comte de Chambord. Nicolas Roussellier rappelle ces données historiques mais s’intéresse surtout aux débats entre les monarchistes, qui viennent de très loin dans l’histoire politique et qui éclairent l’évolution de nos régimes constitutionnels. Ces débats ont lieu entre Thiers et la première commission des Trente puis, après la chute du chef du Gouvernement provisoire, au sein de la seconde commission des Trente. A l’affrontement bien connu entre les légitimistes et les orléanistes, s’ajoutent des tensions sur la conception du pouvoir exécutif et sur ses relations avec le pouvoir législatif. Au terme de quatre années de débats et de votes sur les lois constitutionnelles, il apparaît que les monarchistes ont beaucoup cédé sur le pouvoir politique du chef de l’Etat afin de préserver l’autorité du président de la République (ou du futur roi) dans les domaines essentiels de la diplomatie et de la défense nationale, qui sont soustraits au jeu partisan. Au sein de l’Exécutif, se crée une distinction concrète entre le président de la République, statutairement irresponsable, et le président du Conseil, responsable avec le gouvernement devant le Parlement. Alors que le républicanisme conçoit le pouvoir exécutif comme un organisme de simple exécution, les monarchistes inscrivent dans le droit constitutionnel la fonction symbolique du chef de l’Etat situé au-dessus des partis et une fonction gouvernementale qui va connaître une profonde évolution au cours de la IIIe République.

(à suivre)

***

(1) Cf. Jacques de Saint-Victor, Thomas Brantôme, Histoire de la République en France, Des origines à la Vème République, Economica, 2018.

(2) Nicolas Roussellier, La force de gouverner, Le pouvoir exécutif en France – XIXè – XXIè siècle, Nrf Essais, Gallimard, 2015.

(3) La Nouvelle Action royaliste distingue la tradition républicaine qui adhère au principe du gouvernement selon l’intérêt général et qui englobe plusieurs régimes politiques et le républicanisme qui cherche à organiser, au sein de la res publica, le gouvernement du peuple.

 

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