La droite avait voulu que les élections municipales soient essentiellement politiques. De bonne ou de mauvaise grâce, le gouvernement et les partis de la majorité l’ont suivie sur ce terrain, pour y subir un échec cuisant. Libres de toute allégeance à l’égard de la gauche, nous ne saurions en être directement affectés. Peu suspects de complaisance envers la droite, nous ne pouvons pas nous en féliciter. L’indifférence alors ? Pas le moins du monde. Après le premier tour des municipales j’ai dit à la télévision que les royalistes n’étaient pas de ceux qui s’enfuyaient les soirs de défaite. Nous avons soutenu le président de la République et nous continuerons de le faire tant que son projet continuera de nous paraître nécessaire pour notre pays. Mais cela ne nous a jamais empêché d’être critiques à l’égard du gouvernement et du parti dominant, qui accumulent depuis deux ans les maladresses.
RAISONS D’UNE DÉFAITE
Cette défaite qu’ils subissent aujourd’hui, n’est-elle pas quelque peu méritée, alors que les avertissements ne leur ont pas manqué ? Déjà, après les élections cantonales, nous avions dit qu’il fallait en finir avec le sectarisme, les improvisations et les incohérences. Certains, à la direction du Parti socialiste, avaient esquissé une autocritique. Las. Il ne s’est pas écoulé un mois que les mêmes erreurs recommençaient, et ne cessaient plus de se renouveler. Que d’occasions perdues. Quel invraisemblable gâchis. La générosité du projet de la gauche, le caractère judicieux de certaines réformes de structures, la fermeté de la politique étrangère, la volonté de redressement industriel, tout cela s’est perdu dans la confusion et les contradictions, tout cela a été obscurci par la suffisance de certains dirigeants du P.S., ou négligé au profit de combats d’un autre temps. Avait-on vraiment besoin de relancer la querelle de l’école libre ? Suffit-il que les socialistes proclament qu’ils ont toujours raison pour emporter la conviction, alors que leur tradition est en crise, alors que le projet formulé dans les années soixante-dix ne répond plus que partiellement aux questions soulevées par la mutation technologique que nous commençons de vivre ?
Beaucoup de socialistes se récrieront. Ces fautes, ils auraient voulu qu’elles ne fussent pas commises ; ce sectarisme, il n’est pas leur fait. Sans aucun doute. Il n’en demeure pas moins que l’attitude globale de la gauche est mal supportée, que certains de ses gestes ont renforcé les craintes au lieu de les calmer, et que l’esprit de parti, l’égoïsme de parti, les réflexes de parti l’emportent encore (toujours ?) sur l’esprit d’ouverture, de dialogue, de compréhension de ceux qui entendent rester différents.
L’ESPRIT DE PARTI
Peu après le premier tour, Lionel Jospin lançait un vibrant appel à la mobilisation. Mais ses paroles ne visaient que les militants des partis de gauche, qui auront pour tâche de rassembler les seuls électeurs de gauche. Mais ceux qui ne sont pas « de gauche » et qui, à chaque scrutin, « font la décision » ? Le premier secrétaire du P.S. n’en a cure, ou les a oubliés, tant le réflexe partisan est fort, tant l’idée est ancrée qu’il n’y a rien, qu’il ne doit rien y avoir en dehors ou à l’écart de camps bien délimités. C’est dommage pour le projet politique que soutient le Parti socialiste. C’est agaçant pour ceux qui se sentent exclus, méprisés, et qui risquent, à l’heure des grandes échéances, de se désintéresser du sort d’une formation si convaincue de sa supériorité.
Cette attitude est d’autant plus dangereuse que la gauche et le président de la République lui-même risquent d’être les prochaines victimes du mouvement de balancier que connaît la France, comme d’autres pays. Parce qu’aucun projet n’est en mesure de nous faire sortir immédiatement de la crise, la tendance électorale est de sacrifier les dirigeants politiques les uns après les autres. La gauche a bénéficié de ce phénomène en 1977 et en 1981. Elle subit aujourd’hui les effets de ce vote « contre » qui redonne l’avantage à une droite qui se signale pourtant par l’inexistence de ses propositions. La « majorité présidentielle » risque donc, aux prochaines législatives, de connaître un revers qui remettrait en cause l’ensemble du projet présidentiel, d’où l’urgence d’un changement d’attitude et de méthodes :
— depuis mai 1981, le bilan n’est pas négatif. Il serait mieux apprécié si le gouvernement faisait l’effort d’expliquer clairement sa politique, au lieu de donner le spectacle de l’incohérence.
— plutôt que de se réfugier dans la gestion au jour le jour et dans le colmatage de brèches qui se reforment sans cesse, le gouvernement doit prendre des décisions qui n’ont que trop tardé dans le domaine de la protection du marché national, et mettre en œuvre les réformes de structures qui permettront d’extirper une inflation contenue à grand peine,
— plutôt que de se limiter aux partis de la gauche, la « majorité présidentielle » doit s’ouvrir, accepter ceux qui ne se reconnaissent pas dans la tradition socialiste, admettre sans réserve le droit à la différence pour ceux qui soutiennent l’action du Président de la République.
Ces mesures d’urgence permettront peut-être d’éviter un retour brutal du balancier, qui porterait au pouvoir le parti de la revanche. Mais, par-delà le succès de l’un ou l’autre camp, une question fondamentale demeurera posée : si les gouvernements s’usent rapidement, si les majorités sont remises en question au bout d’une ou deux années, si le chef de l’Etat est rituellement sacrifié en fin de mandat, la stabilité des institutions et la continuité du projet de la nation se trouveront gravement atteintes. Obsédés par leurs rivalités, les partis de droite et de gauche ne voient pas qu’ils y perdront tout à tour, et plus encore le pays. Pour dominer ce cycle dangereux, pour faire en sorte que l’alternance ne soit pas vécue comme une déstabilisation perpétuelle, le recours à un arbitre vrai, indépendant des partis, disposant d’une légitimité enracinée dans l’histoire, deviendra une nécessité toujours plus impérieuse.
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Editorial du numéro 378 de « Royaliste » – 20 mars 1983
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