Deux événements politiques, de très inégale importance, ont marqué la deuxième semaine de février : l’entrée de la Lega de Matteo Salvini dans le gouvernement dirigé par Mario Draghi ; le débat entre Marine Le Pen et Gérald Darmanin sur France 2 le 11 février. Ce n’est pas l’avenir des relations entre la Lega et le Rassemblement national qui importe, mais la perspective que dessine Matteo Salvini sous les yeux de notre droite populiste.

Le chef de la Lega illustre de manière exemplaire les mésaventures des champions de l’identité. Matteo Salvini est passé sans la moindre difficulté de la promotion brutale d’une identité régionale à un nationalisme identitaire qui lui a valu sa première accession au pouvoir. Le voici maintenant rallié, comme le mouvement Cinq Étoiles, à un agent de Bruxelles qui n’est en rien rebuté par la xénophobie vitupérante de son allié.

Marine Le Pen se trouve quant à elle sur la même trajectoire. Certes, elle ne vise pas un simple poste ministériel mais la candidate à la présidence s’emploie depuis 2017 à mettre de l’eau centriste dans son vin populiste. Après avoir purgé son parti des proches de Florian Philippot sur son aile gauche et des sympathisants de Marion Maréchal sur son aile droite, la présidente du Rassemblement national n’a cessé d’adoucir son discours : la dénonciation de l’euro et des méfaits de l’Union européenne a été abandonnée et les héritiers du Front national sont maintenant priés d’accepter l’espace Schengen.

Face à Gérald Darmanin, dépité par sa « mollesse », Marine Le Pen a fait valoir qu’elle conservait son stock de diatribes sur l’immigration destinées à montrer que le Rassemblement national reste fidèle à sa ligne. Comme on le voit en Italie, ce n’est pas cette xénophobie discursive qui l’empêcherait, une fois élue, de se déclarer compatible avec une majorité parlementaire et un gouvernement de coalition qui auraient déclaré leur soumission aux normes bruxelloises. Pour la Commission, l’immigration n’est qu’une variable d’ajustement démographique et c’est sans problème majeur qu’elle peut, sur le pourtour méditerranéen, réduire ou augmenter les flux au gré des aléas économiques et des nécessités politiques.

Somme toute, les populistes de droite, français et italiens, et les populistes de gauche, espagnols et français, ont tiré la leçon de l’épreuve de force grecque en 2015 : il est impossible de participer à l’exercice du pouvoir si l’on n’accepte pas la tutelle de Bruxelles, de Francfort et de Berlin. En inventant la jolie problématique du Plan A et du Plan B, puis en éjectant la fraction patriote de la France insoumise, Jean-Luc Mélenchon a fait savoir qu’il était lui aussi prêt à tous les accommodements – incompatibles avec la planification écologique.

Il est vrai que la vacuité idéologique des populistes de droite favorise le ralliement de ses dirigeants au bloc élitaire qu’ils avaient rudement dénoncé sur leurs tribunes. En revanche, les populistes de gauche avaient savamment cultivé diverses variétés de marxisme et les disciples de Gramsci et d’Ernesto Laclau dissertaient voici peu sur les “affects”, les “signifiants vides” et la quête de “l’hégémonie culturelle” (1). Tout ça pour reconstituer, à Madrid, un “bloc bourgeois” avec le Parti socialiste en brandissant, comme alibi de gauche, la proposition d’un référendum sur la monarchie. Tout ça pour frayer, à Paris, avec des indigénistes qui ne se soucient pas une seconde des moyens de prendre le pouvoir et de l’exercer. Podemos et La France insoumise ont sombré, mais le naufrage vécu dans le confort des assemblées parlementaires épargne aux hiérarques le désarroi qu’éprouvent les militants.

Les populismes de l’ouest-européen ont cultivé la fonction tribunitienne mais nous constatons aujourd’hui qu’il ne suffit pas d’être un excellent tribun, comme Matteo Salvini, pour donner de la force à un courant populaire. Il ne suffit pas non plus d’allier la fonction tribunitienne et un projet politique assez bien pensé – celui d’Alexis Tsipras et de Syriza en Grèce, celui de Pablo Iglesias et de Podemos en Espagne. La seule réussite populiste en Europe de l’Ouest est celle de Nigel Farage et du Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni (UKIP) : ce parti « monomaniaque », fondé en vue d’un unique objectif, a disparu après la victoire des partisans du Brexit parce que l’UKIP ne pouvait pas devenir un parti de gouvernement…

Le Rassemblement national est lui aussi un parti “monomaniaque”, trop centré sur l’immigration pour avoir un programme de gouvernement. C’est pourquoi il serait facilement récupéré et intégré à la “gouvernance”, si d’aventure Marine Le Pen entrait à l’Elysée.

Sans attendre le naufrage lepéniste, il nous faut expliquer sans relâche qu’il n’y a qu’une seule alternative politique possible face aux oligarques et aux ralliés populistes : le choc frontal avec l’ensemble des organes de l’Union européenne. Il peut y avoir discussion sur le moment de l’offensive et sur le choix des premières cibles mais le rassemblement des énergies militantes doit se faire sur la promesse la plus difficile à tenir en politique : celle d’une lutte sans la moindre concession.

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(1) Populisme de gauche : questions de stratégie, “Royaliste” 1143, avril 2018.

 

 

 

 

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