Noir c’est noir ; il n’y a plus d’espoir… La bonne vieille chanson de Johnny Hallyday résume le message subliminal que les dirigeants politiques et les médias ne cessent de diffuser. La guerre est notre horizon ! Le poids de la dette publique nous condamne à l’austérité ! La société française est en train de se disloquer ! Nous prenons au sérieux toutes les menaces, nous nous efforçons de présenter des solutions de court et de long terme, mais nous voyons bien que c’est une autre histoire qu’on veut nous raconter.
Ce qui s’esquisse, c’est le scénario favori des présidentiables : les membres de l’élite en compétition reconnaissent comme fait social déterminant le climat anxiogène créé par les médias d’extrême droite, la gauche radicale et les docteurs en rigorisme, puis chacun se présente comme le meilleur rempart possible contre les agressions extérieures, les dérives budgétaires, l’insécurité et l’extrême droite. Le vainqueur donne ensuite le spectacle de la résolution et s’empresse de ne pas tenir ses promesses. Il faut donc remettre “au cœur de la campagne” l’insécurité, la dette publique, la montée de l’extrême droite et la défense, en laissant de côté les enjeux de souveraineté monétaire, budgétaire, commerciale et militaire puisque les décisions se prennent à Francfort et Bruxelles, puisque Nicolas Sarkozy nous a fait revenir dans le commandement intégré de l’Otan.
Ces campagnes répétitives confortent ou du moins préservent la gouvernance oligarchique dans ses variantes de droite et de gauche. Cette permanence dans l’inertie n’est ni l’effet d’un complot ourdi dans les salons du Grand Capital, ni une fatalité. Face au bloc oligarchique, le Rassemblement national et la France insoumise ont choisi d’abandonner les questions de souveraineté pour cultiver, chacun de son côté, un aspect de la haine identitaire. Depuis des décennies, les campagnes de presse contre les fonctionnaires, “trop nombreux”, et les retraités, “trop favorisés”, visent à créer la suspicion et la division au sein des classes moyennes et à obtenir un consentement tacite aux réformes des retraites et aux réductions d’effectifs dans la fonction publique. Surtout, l’oligarchie a longtemps profité des divisions syndicales pour calmer les protestations ouvrières et continue de s’appuyer sur la FNSEA pour contrôler la paysannerie.
Ces succès tactiques ne font pas oublier le scandale politique. L’oligarchie a rompu le pacte de progrès individuels et collectifs que tout pouvoir soucieux de l’intérêt général établit et tente de maintenir avec les classes moyennes et populaires. Pour gouverner contre le peuple, il faut avoir les moyens de le terroriser, ce qui n’est pas le cas, ou il faut organiser la guerre de tous contre tous. C’est ce qui est tenté avec le concours des populismes de droite et de gauche. Or cette guerre n’a pas lieu, malgré les tentatives que je viens d’évoquer et l’individualisme ambiant.
La société française continue d’exister grâce aux innombrables citoyens qui assurent les fonctions et services publics, permettent la vie communale et les mobilisations syndicales, animent des associations et compensent les faiblesses de l’organisation collective par le bénévolat. Cette évidence souligne l’échec des opérations de délitement menées par les néolibéraux, qui s’emploient par ailleurs à dénigrer la “France paresseuse” alors qu’ils mourraient de faim sans les petites entreprises industrielles, agricoles et commerciales qu’ils sacrifient sur l’autel du libre-échange, sans les innombrables travailleurs mal payés qui assurent la maintenance de nos systèmes.
Autre fait majeur, dont nos lecteurs sont bien informés : la vitalité intellectuelle de notre pays et la diffusion des connaissances par de nouveaux médias, hors des grandes chaînes de télévision. Comme cela s’est toujours produit à la veille de changements décisifs de son histoire, la France recèle une large opinion publique capable de se mobiliser rapidement autour de ceux qui proposeront un programme de reconstruction et de développement. Les partis qui se contentent d’explorer les impasses du néolibéralisme seront rapidement débordés, de même que les chefs populistes qui exploitent divers aspects du malheur français. Ceux qui peuvent nouer l’alliance entre des classes moyennes et populaires appauvries et humiliées, les enseignants et chercheurs précarisés et les serviteurs de la res publica campent aujourd’hui sur les marges. Ils sont assez libres et souples pour saisir d’emblée le moment favorable, qui permettra de balayer les élites qui ont fait sécession depuis un quart de siècle.
Le nihilisme souvent évoqué n’est pas celui d’une société qui serait en perdition mais la maladie mortelle des élites qui ont voulu détruire l’Etat et la nation et tenté méthodiquement de dévaluer toutes les valeurs par la promotion du capitalisme financier. Disqualifiés par leurs jouissances ostentatoires, leur corruption et leurs mensonges, débordés par la nouvelle logique du Capital, incapables de comprendre les enjeux géopolitiques, ils se croient encore tout-puissants. Telle sera leur ultime illusion.
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Editorial du numéro 1305 de « Royaliste » – 15 juillet 2025
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