La victoire de Nicolas Sarkozy est d’autant plus incontestable que la mobilisation des électeurs a été exceptionnelle. Tous les commentateurs se félicitent de ce retour du retour des Français à l’engagement politique, qui est, pour nous aussi, très prometteur.

Mais de quoi ? Pour tenter de prévoir ce qui pourrait survenir à moyenne échéance, il faut noter que la mobilisation politique, déjà très nette lors du référendum de 2005, s’accompagne d’un ample développement du mouvement social marqué par des grèves et des manifestations d’une ampleur impressionnante.

Cette double dynamique politique et sociale peut diverger en raison d’un contexte électoral particulier, comme l’explique Jacques Sapir. C’est ce qui s’est produit lors du premier tour puis au second. Mais le nouveau président de la République va être confronté dès avant la période des vacances à des décisions cruciales. Ayant promis d’agir vite, il lui faudra donner enfin aux Français le sens de la rupture qu’il veut effectuer. Rupture avec les contraintes qui empêchent l’ultralibéralisme de s’exercer à plein ? Rupture avec le principe de l’indépendance de la Banque centrale européenne et avec les règles du libre-échange ? Le double discours n’est plus tenable : le passage à l’acte lui vaudra l’hostilité de ses groupes de soutien, industriels et financiers s’il choisit une voie protectionniste, ou la fureur d’un peuple qui se sentira trahi s’il décide de continuer à suivre la voie tracée par le Medef.

A l’heure où j’écris, le Premier ministre n’est pas nommé, le gouvernement n’est pas formé. Nous ne ferons pas de procès d’intention mais nous conservons les déclarations faites pendant la campagne et le texte du discours adressé à l’ensemble des Français au soir du 6 mai. Nous espérons simplement que le nœud gordien de la droite sera tranché avant la bataille des législatives.

La même demande doit être instamment adressée au Parti socialiste. Le premier parti de gauche, presque seul maintenant que le Parti communiste s’est effondré, est miné depuis 1983 par la contradiction entre l’authentique tradition du socialisme démocratique français (politique active de l’Etat, appropriation collective des secteurs-clés, répartition du revenu national selon le principe de justice) et l’orientation néo-libérale représentée par Jacques Delors, Michel Rocard, Lionel Jospin, Dominique Strauss-Kahn et Ségolène Royal.

La deuxième gauche a sa logique, que Ségolène Royal voulait mener à son terme en s’alliant avec François Bayrou. Mais tous les dirigeants et candidats qui se sont réclamés de la ligne social-libérale  ont été successivement battus pour deux raisons : cette ligne est contraire aux principes du socialisme à la française ; surtout, les Français sont en grande majorité hostiles au libéralisme économique comme nous l’avons vu lors des grèves de 1995, lors de la campagne contre la réforme des retraites en 2003, lors du référendum de 2005 et pendant la bataille victorieuse contre le CPE.

La gauche social-libérale n’a pas tiré les leçons de la victoire de Jacques Chirac en 1995, élu sur la promesse de réduire la fracture sociale, de la défaite de Lionel Jospin, « candidat moderne » et non plus socialiste en 2002. Et Nicolas Sarkozy doit une large part de son succès aux thèmes « gaullistes », « travaillistes » et national-protectionnistes face à une candidate qui n’a pas fait le bilan désastreux de l’ultralibéralisme chiraquien et qui n’a jamais montré la moindre volonté d’en finir avec la théorie et la pratique du « traité constitutionnel » qu’elle avait ardemment défendu. Ce qui explique que certains cadres et militants socialistes aient voté pour François Bayrou au premier tour – pour tenter de casser le système – et se soient résignés à voter blanc au second.

Placés dans une situation difficile par l’échec de Ségolène Royal, les dirigeants du premier parti de gauche auraient avantage à trancher immédiatement le nœud de leurs contractions s’ils veulent avoir quelque chance de s’opposer victorieusement aux candidats de l’UMP les 10 et 17 juin. Ce qui est souhaitable pour l’équilibre politique du pays et pour que les luttes sociales se déroulent de manière relativement pacifiques.

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Editorial du numéro 904 de « Royaliste » – 14 mai 2007

 

 

 

 

 

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