En cette période de changement, à la veille de nouveaux choix, il importe de rappeler nos principes essentiels, qui permettent de comprendre les raisons de nos attitudes et de nos décisions. Car il est vrai que, depuis dix ans, la Nouvelle Action Royaliste a rarement dit ce qu’on attendait d’elle, et qu’elle s’est rarement située à la place assignée par la logique et les traditions politiques.

Longtemps situés « à droite », serions-nous devenus, par l’effet de notre vote du 10 mai, des « royalistes de gauche » ? Ici on s’étonne, là on se scandalise en dénonçant notre irresponsabilité ou notre goût de la provocation. Soyons sérieux : la N.A.R. n’aurait pas vécu six mois, si elle s’était contentée de rechercher l’originalité à tout prix. Il faut donc dire une nouvelle fois ce que nous n’avons cessé d’affirmer depuis le commencement : notre royalisme nous situe, d’une manière définitive, au-delà de la droite et de la gauche, nos principes politiques nous conduisent à des choix rigoureux, qui rencontrent rarement les intérêts et les passions de l’un et l’autre des deux camps.

LE PEUPE LE LE POUVOIR

Quels principes ? Citoyens semblables à tous les citoyens, nous demandons que la justice existe pour chaque personne et pour chaque communauté, et que celles-ci disposent de leur liberté. Ce qui n’est guère original. Mais cela suppose un certain nombre de réformes et de révolutions -nationalisations, décentralisation, autogestion- que certains veulent faire et que d’autres refusent p peur du désordre, ou parce qu’elles menacent des privilèges et des intérêts.

Si nous sommes royalistes, c’est parce que nous croyons que cette justice et cette liberté ne peuvent exister pleinement que dans une nation indépendante servie par un Etat arbitre – cet arbitrage exigeant une légitimité historique et populaire. Tout en posant inlassablement cette question du pouvoir, jamais abordée par les partis politiques, tout en préparant le recours à la solution royale, les citoyens que nous sommes sont évidemment favorables à tout ce qui rejoint notre souci, et opposés à tout ce qui le nie. D’où notre hostilité radicale à Giscard d’Estaing : nous l’avons combattu à cause de ses erreurs et de ses échecs, mais surtout parce qu’il ne manifestait aucun souci politique vrai. En revanche, nous avons voulu donner sa chance à François Mitterrand parce qu’il semblait en mesure de mieux remplir la charge de chef de l’Etat.

Le premier discours du nouveau Président confirme d’ailleurs le bienfondé d’un choix qui, sans nous satisfaire pleinement, nous semble cependant préférable à ce qui existait depuis sept ans. En 1974, Giscard d’Estaing avait utilisé l’image de la page blanche. François Mitterrand veut au contraire s’inscrire dans le mouvement d’une histoire nationale peut-être moins partielle que ne le laisserait supposer la cérémonie du Panthéon : évoquant notre peuple qui, depuis deux siècles, a «façonné l’histoire» sans avoir accès, sinon par de «brèves et glorieuses fractures», aux charges du pouvoir, n’affirmait-il pas son souci de l’alliance entre l’Etat et le peuple français, interrompue par deux siècles de bourgeoisie, mais qui existait bel et bien avant la confiscation de l’Etat par cette classe sociale ?

L’intention ainsi affirmée par le chef de l’Etat le rend proche de notre projet, de même que sa volonté de ne pas être le chef du camp des vainqueurs, mais le serviteur de l’espérance commune. Comment, enfin, ne pas accorder un large crédit à celui qui place son action sous le signe de la lutte contre l’injustice, souhaite que les citoyens reprennent leurs pouvoirs et refuse que le tiers monde soit à la fois méprisé et affamé.

COMMENT VOTER ?

Cela signifie-t-il que nous sommes devenus socialistes ? Non. Une chose est d’approuver le projet de justice, de liberté et d’unité du nouveau président, autre chose est de se rallier au Parti socialiste. Nous ne pouvons le faire parce que nous n’avons pas cessé de dire que la politique partisanne, à gauche comme à droite, menaçait l’indépendance de l’Etat, parce que nous n’avons cessé de démontrer que tout parti recèle une volonté de puissance qui le pousse à confisquer le pouvoir -donc à empêcher l’arbitrage- et à monopoliser l’expression populaire.

Et ce n’est pas le gouvernement Mauroy qui peut dissiper notre crainte ! Sans doute doit-on se féliciter de la présence de Michel Jobert au Commerce extérieur, de Jean-Pierre Chevènement à la Recherche, de Pierre Joxe à l’Industrie, de Charles Hernu à la Défense. Mais, dans l’ensemble, il y a une confusion néfaste entre la direction du Parti socialiste -toutes tendances représentées- et la conduite des affaires de la France. Néfaste parce que la représentation au gouvernement de tendances socialistes opposées -atlantistes ou indépendantistes, laïcardes ou non, etc.- risque de mener aux conflits internes et à l’incohérence. Peut-être cette concentration de force était-elle nécessaire pour assurer la coïncidence entre la majorité présidentielle et la majorité parlementaire. Mais la question de la volonté hégémonique du Parti socialiste reste cependant posée.

C’est dire que, pour les législatives, il ne saurait être question de donner un chèque en blanc au Parti socialiste. Certes, au premier tour, il s’agira d’abord d’éliminer les représentants du parti de l’argent (les anciens U.D.F.) et de faire payer au Parti communiste son attitude à l’égard de l’Afghanistan et des travailleurs immigrés. Au second tour, les critères de notre choix devront être encore affinés, en fonction des tendances représentées par les candidats et de leur propre personnalité. Comment, en effet, accorder son suffrage à ceux qui, au R.P.R. se sont compromis avec Giscard entre les deux tours par inconscience, par faiblesse ou par lâcheté ? Mais comment faire confiance aux candidats socialistes qui sont notoirement connus pour leur atlantisme, leur laïcisme rétrograde, leur sectarisme ? Cette ligne de conduite n’a pas l’avantage de la simplicité. Mais elle est la seule qui soit rigoureusement cohérente avec les principes de notre engagement politique.

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Editorial du numéro 339 de « Royaliste » – 4 juin 1981

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