Il y a trente-deux ans, lors de son IXe congrès, la Nouvelle Action royaliste se déclarait “heureuse de voir l’Europe se retrouver” et esquissait “un projet pour toute l’Europe”.
Cette perspective n’avait rien d’original : nous reprenions le projet d’Europe de l’Atlantique à l’Oural formulé par le général de Gaulle au temps de la Guerre froide. Nous avons ensuite approuvé avec enthousiasme le projet de Confédération européenne lancé par François Mitterrand le 31 décembre 1989 et j’ai consacré plusieurs années de travail à esquisser la “théorie des ensembles européens” qu’il avait souhaitée.
Très vite, il nous fallut constater que la réunion des Etats du continent européen dans un ensemble pacifique voué au développement n’intéressait pas les élites occidentales. Le projet de Confédération européenne, trop faiblement soutenu par la France, fut contré par l’Allemagne et par les Etats-Unis. Dans les années quatre-vingt-dix, les gouvernements français coururent s’enfermer, avec leurs ignorances et leurs illusions, dans les pièges de l’Union européenne tandis que l’extension de l’Otan perpétuait la politique de bloc face à une Russie durablement affaiblie par les thérapies de choc et la déliquescence de son milieu dirigeant. De 1991 et 1999, la destruction de la Yougoslavie sous l’effet des guerres civiles et des interventions étrangères puis la crise ukrainienne et la guerre civile de 2014-2015 aggravèrent les fractures européennes, au mépris du principe d’intangibilité des frontières.
Tout au long de ces crises et de ces guerres nous avons souhaité l’arrêt des hostilités et la recherche de solutions permettant que les liens brisés se renouent. Trop souvent, nous avons constaté que les présidents français choisissaient la voie de la résignation. François Mitterrand prit son parti de l’échec du projet de confédération européenne, le gouvernement socialiste sacrifia délibérément la Yougoslavie sur l’autel de Maastricht puis un gouvernement de cohabitation participa, au mépris du droit international, à la campagne de bombardement menée en 1999 contre la République fédérale yougoslave. Quelques années plus tard, la France revenait dans le commandement intégré de l’Otan et affaiblissait d’autant plus son rôle de médiation dans les conflits qu’elle avait sacrifié ses capacités militaires et sa puissance industrielle aux dogmes imbéciles de l’équilibre budgétaire et de la libre concurrence.
C’est une France en perte d’influence et matériellement affaiblie qui affronte la crise européenne provoquée par l’attaque russe du 24 février. Avec François Hollande, la France était dans son rôle lorsqu’elle œuvrait pour un cessez-le-feu en Ukraine et signait en février 2015 les accords de Minsk II avec les Russes, les Allemands, le gouvernement de Kiev et les représentants des zones insurgées. Avec Emmanuel Macron, la France était dans son rôle lorsqu’elle tentait, en février, d’amener la Russie à la table des négociations. Nous ne sommes pas de ceux qui ricanent au vu de l’échec français : il fallait tout tenter pour sauver la paix, mais la Russie était déjà décidée à la guerre. Elle était d’autant plus décidée que la fermeté des Etats-Unis et leurs avertissements sur l’imminence du conflit s’accompagnait d’une garantie de non-intervention militaire confirmée par l’Otan après le 24 février.
L’invasion russe viole manifestement la Charte des Nations Unies qui proscrit l’emploi de la force contre l’intégrité territoriale et l’indépendance politique de tout Etat. Le gouvernement français a eu raison de condamner cette agression tout en maintenant le dialogue avec le président russe. Il faudra reprendre le chemin diplomatique dès que possible, à des conditions que l’évolution rapide de la situation militaire ne permet pas d’envisager.
Il faudra ensuite tirer les leçons de ce conflit et prendre la mesure des faiblesses de notre pays pour y remédier. Un seul exemple, donné par le colonel Goya : huit armées combinées de combat ont été engagées en Ukraine le premier jour de l’attaque ; la capacité de combat de toute notre armée de Terre équivaut à une seule de ces armées ! Les rodomontades de plateaux télévisés sont absurdes : pour bloquer un agresseur, pour imposer une négociation, il faut en avoir les moyens. Cela signifie que les dirigeants français doivent décider de renouer avec une politique de puissance pour protéger l’ensemble du territoire national, y compris notre immense domaine maritime, et pour peser de manière décisive dans le jeu diplomatique mondial. Cela signifie aussi qu’il faut renoncer aux chimères de la “défense européenne” et de la « souveraineté européenne”. Cela signifie enfin qu’une politique de puissance suppose le développement cohérent de nos moyens industriels, militaires, financiers, commerciaux. Il nous faut par conséquent reconquérir notre pleine indépendance militaire par la sortie du commandement intégré de l’Otan et notre souveraineté monétaire en quittant la zone euro.
C’est à ces conditions que nous pourrons sortir de la nouvelle guerre froide et réduire les fractures de notre Europe, selon le projet que la France avait esquissé voici plus de quatre cents ans.
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Editorial du numéro 1229 de « Royaliste » – 28 février 2022
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