Nous avons combattu la Nouvelle Droite pendant près de dix ans. La voici heureusement réduite à l’état d’objet historique.
Le rôle de Cassandre est toujours difficile à jouer. Lorsque le Front national surgit sur la scène politique, les formations de la droite classique regardèrent de très haut ceux qui, comme nous, dénonçaient un véritable péril. Face à la Nouvelle droite, ce fut pire. Pendant huit ans, de 1971 à 1979, bien peu prirent au sérieux nos avertissements et nos campagnes : notre combat contre Nouvelle Ecole et le GRECE semblait être celui de Don Quichotte face aux moulins à vent.
Le livre d’Anne-Marie Duranton-Cabrol (1) confirme que nous n’étions pas victimes d’hallucinations : la Nouvelle Droite a existé, son idéologie racialisante faisait peser une menace de subversion des valeurs de notre civilisation, et sa volonté de prendre le pouvoir culturel était manifeste. De jeunes lecteurs pourront s’étonner que les thèses néo-droitistes aient pu séduire nombre de bons esprits, et marquer le discours de la droite traditionnelle. II est vrai que ce mélange de scientisme biologisant, de paganisme nordique, de nostalgies hitlériennes et de niaiseries aristocratiques sur fond « indo-européen » prête aujourd’hui à sourire. Mais, dans les années soixante-dix, cette weltanschauung attira effectivement ceux qui, ayant renoncé à penser par eux-mêmes et selon leur tradition, cherchaient en politique de nouvelles raisons d’exister.
Parée d’un prestige intellectuel usurpé, habile manipulatrice des travaux scientifiques et de chercheurs inattentifs à cet étrange milieu, la Nouvelle Droite avait l’avantage de fournir un bagage idéologique apparemment sérieux face au marxisme et, surtout, une « identité culturelle » préfabriquée. Tel fut le motif de notre inquiétude et de notre mobilisation dès 1971 : nous redoutions que l’idéologie néo-droitiste ne vienne contaminer une droite classique dépourvue de défenses intellectuelles et le pouvoir politique qu’elle détenait alors. Le danger n’était pas surestimé : on vit Robert Hersant livrer le « Figaro Magazine » à Alain de Benoist et à ses émules, Louis Pauwels y donner chaque semaine une leçon de nietzschéisme frelaté, tandis que la bourgeoisie libérale et catholique puisait à pleines mains dans le bric-à-brac « culturel » obligeamment fourni. Longtemps après l’été 1979 (qui vit la grande presse se saisir enfin du dossier) on put repérer, dans les discours de certains dirigeants de la droite parlementaire, la trace de la thématique anti-égalitaire réactualisée par la revue Nouvelle Ecole. Sans ce terrain soigneusement préparé, le Front national aurait-il pu faire une aussi sérieuse percée ?
Qu’on fasse confiance aux premiers « spécialistes » de la question : le travail d’Anne-Marie Duranton-Cabrol repose sur une information solide et l’ensemble de l’affaire néo-droitiste est fort intelligemment exposé. Quant aux erreurs et aux lacunes, elles sont d’autant plus regrettables qu’elles auraient été facilement évitées si l’auteur, qui souligne le rôle des royalistes et leurs liens avec le mystérieux GARAH, était venue recueillir le témoignage des promoteurs de la campagne contre Nouvelle Ecole et le GRECE.
Pour comprendre le lancement de la campagne de presse de l’été 1979 contre la Nouvelle Droite, il n’est pas inutile de savoir que Thierry Pfister, alors journaliste au « Monde », reçut à sa demande Yvan Aumont, Gérard Leclerc et Bertrand Renouvin, et que Kathleen Evin, alors journaliste au « Nouvel Observateur », invita Yvan Aumont à déjeuner. Leurs articles respectifs, qui jouèrent un rôle décisif dans le déclenchement de l’affaire, doivent beaucoup aux analyses et aux informations que les dirigeants de la NAR leur donnèrent. II est d’autre part dommage que les différents moments du procès que nous intenta Alain de Benoist n’aient pas été examinés de près, et que l’auteur se borne à une brève évocation curieusement évasive. Sur ces points, et sur tant d’autres, nous aurons bien des choses à raconter à Anne-Marie Duranton-Cabrol lorsqu’elle préparera une nouvelle édition de son livre…
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(1) Visages de la Nouvelle Droite. Le GRECE et son histoire, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1988.
Article publié dans le numéro 510 de « Royaliste » – 6 mars 1989.
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