Il n’est pas encore possible de prendre l’exacte mesure de la crise mondiale, puisque nous ne pouvons pas plus utiliser les habituels repères. Par exemple, les statistiques américaines du chômage sont illusoires et les bilans de nombreux groupes industriels et financiers sont truqués. Il y a crise de confiance, beaucoup profonde aux Etats-Unis qu’en Europe, mais qui affecte gravement les principales places financières.
Le scandale Enron, les manipulations frauduleuses du cabinet Arthur Andersen et l’effondrement du cours des actions ont révélé les conséquences désastreuses de la dérégulation et d’une logique spéculative qui recèle la panique. Les petits actionnaires découvrent aujourd’hui l’ampleur de leurs pertes et les grandes sociétés publiques et privées sont accablées de dettes colossales. Tout cela pèse sur la consommation des particuliers et sur l’investissements des entreprises.
S’ajoutent la déflation japonaise et le naufrage de plusieurs pays d’Amérique latine, à commencer par l’Argentine que les grands médias nous montrent plongée dans une misère inouïe, entre deux séquences sur les tartarinades du ministre de l’Intérieur et la saveur des petits vins de pays. Comme les banques européennes ont beaucoup perdu dans leurs opérations à l’étranger, nous risquons d’être confrontés à une forte restriction du crédit aux entreprises. Les plus solides devront (doivent déjà) réduire leurs investissements, les plus faibles font ou feront faillite. En France, les statisticiens officiels n’ont surpris personne quand ils ont annoncé que la croissance allait diminuer et le chômage augmenter.
Ces observations sommaires semblent alarmistes. Elles sont pourtant d’une extrême pondération, au regard de ce qu’affirment les économistes indépendants qui évoquent le krach de 1929, annoncent une spirale déflationniste (autrement dit la baisse cumulative des prix et des salaires, provoquée par la restriction de monnaie) et prévoient de nouveaux effondrements sur les marchés boursiers.
Face à cette situation, est-il permis d’espérer une réaction de la « gouvernance » française et européenne ?
Nécessaire, urgente, elle serait possible si les chefs d’Etat et de gouvernement en avaient la volonté. Les moyens qui permettraient de lutter contre la crise mondiale sont connus : retour à la vocation première des institutions financières internationales qui est de favoriser le développement économique et social au lieu d’imposer aux peuples d’interminables cures d’austérité ; contrôle rigoureux des mouvements internationaux de capitaux ; nationalisation dans chaque pays des secteurs-clés ; politique nationale de soutien à l’activité économique par injections massives de crédits publics (cela se fait aux Etats-Unis) destinés à relancer l’activité industrielle ; politique des revenus favorables aux salariés qui soutiendront par leurs achats la demande globale….
Je souligne à gros traits les éléments d’un programme que la Nouvelle Action royaliste présente de manière précise et détaillée pour faire ressortir une consternante certitude. Les oligarques français et européens ne feront rien, parce qu’ils ne veulent rien faire.
Ils ont le pouvoir d’abandonner le Pacte de stabilité, qui aggrave la crise en obligeant à restreindre la dépense publique. Mais ils préfèrent chipoter sur les dates du « retour » dogmatique à l’équilibre budgétaire et utiliser des ruses comptables pour faire semblant de tenir un engagement qui est, c’est le cas de le dire, contre-productif.
Ils ont le pouvoir de changer les statuts de la Banque centrale européenne : chargée de lutter contre l’inflation (sans pour autant empêcher les hausses de prix qui réduisent le pouvoir d’achat) alors que la déflation menace, cet organisme inerte, inutile et dangereux pourrait au moins être contraint de mener une politique monétaire favorable à la reprise de l’activité économique – la « force » de l’euro étant un handicap aux exportations. Mais on préférera inciter M. Duisenberg à baisser les taux d’intérêt d’un quart de point.
Ils ont le pouvoir de mener à nouveau une politique industrielle, mais ils préfèrent s’en remettre au Marché, alors que seuls quelques ultras croient encore aux rééquilibrages automatiques.
Les oligarques ne feront rien, ce qui les rend illégitime et les expose à être chassés d’un pouvoir qu’ils se refusent à exercer.
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Editorial du numéro 801 de « Royaliste » – 14 octobre 2002
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