La remise du prix Nobel de la paix à l’Union européenne a provoqué une avalanche de propos convenus qu’il est inutile de relever car ils constituent depuis des décennies le fond de sauce de toute homélie sur l’Europe – réduite à sa partie occidentale. Je veux simplement rappeler que cette-Europe-là n’a pas garanti la paix après la Victoire de 1945 : si un prix collectif devait être décerné, il faudrait l’attribuer aux théoriciens de la dissuasion nucléaire, aux chefs d’Etat qui ont su raison garder, aux soldats qui, aujourd’hui, maintiennent en l’état l’armement nécessaire.
Quant aux fameux « pères de l’Europe », ils ne méritent pas la moindre reconnaissance car ces atlantistes invétérés plaçaient la défense ouest-européenne sous le parapluie atomique américain – parapluie virtuel, totalement inopérant en cas de crise majeure car aucune nation ne peut accepter de mettre en jeu sa propre existence pour assurer la protection d’une ou de plusieurs autres nations. Notre force nationale de dissuasion est née de ce constat et demeure, pour nous, la seule garantie possible face à une menace de destruction partielle ou totale.
Les illusions officielles sur le maintien de la paix en Europe ne sont qu’un aspect du décalage croissant des dirigeants de l’Union européenne par rapport à ce qui est effectivement éprouvé et vécu par les peuples des 27 pays-membres. A Bruxelles, à Francfort, à Paris, à Berlin, nous avons des gens que sont en état d’hystérésis : ils vivent, ils réfléchissent, ils décident selon les normes d’un système qui en train de s’effondrer, sans comprendre qu’ils s’agitent désormais dans un invraisemblable chaos économique, monétaire et financier. Et s’ils parviennent à retarder la catastrophe finale, c’est parce qu’ils peuvent s’appuyer sur les Etats et les nations… dont ils méditaient la disparition ! Cette inadaptation croissante des dirigeants est dangereuse car c’est par la force et par la violence qu’ils tentent de faire rentrer le chaos européen dans les schémas du siècle dernier : marché unique, union monétaire, fédéralisme…
Pourquoi ces « pragmatiques » ne se rendent-ils pas à l’évidence ? Bien des explications sont possibles : le confort des positions acquises, les privilèges et les ultimes profits, parfois l’idéologie… Je crains que l’acharnement des eurocrates ne tienne surtout au fait qu’ils sont responsables et coupables de tout ce qui en train de nous arriver. Ils ne peuvent pas accuser une puissance extérieure : ils se sont ouverts à la Chine, ils adorent les Etats-Unis et la Russie, trop souvent négligée, ne leur veut aucun mal. Ils ne peuvent pas non plus se dire victimes d’oppositions et de subversions intérieures : le populisme est trop faible pour entraver quoi que ce soit, la Confédération européenne des syndicats n’a jamais tenté de s’opposer sérieusement aux projets ultralibéraux, l’extrême-gauche ne conteste pas la monnaie unique.
Les dirigeants européens sont donc seuls face à leurs erreurs et à leurs fautes, alourdies de toutes les erreurs et de toutes les fautes de leurs prédécesseurs. Par exemple : Lionel Jospin et Jacques Chirac ont voulu la monnaie unique ; François Hollande a fait voter le TSCG que Nicolas Sarkozy avait accepté. Et ces quatre personnages sont en phase avec l’oligarchie européenne qui a construit un système en même temps qu’elle posait les principes de son autodestruction :
Il était contraire à toute raison politique de croire qu’une structure confédérale et des méthodes de travail intergouvernementales évolueraient vers une forme fédérale. On continue d’annoncer le fédéralisme que l’Allemagne refuse à cause des dépenses exorbitantes qu’elle devrait supporter mais l’Union européenne reste définie par ses nations.
Il était absurde de croire que l’usine à gaz européenne serait rénovée en profondeur par la zone euro, qui est devenue une deuxième usine à gaz en voie d’implosion et qui fera exploser la première.
Il est inepte de répéter que l’Europe est solidaire alors que les Etats du sud sont soumis à des mesures de déflation qui provoquent des sentiments de haine à l’égard de l’Allemagne.
Comme les oligarques européens ne peuvent reconnaître leur échec total, nous allons continuer de subir leur gouvernance par expédients jusqu’au moment, inévitable mais encore imprévisible, où les bricolages deviendront inopérants.
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Editorial du numéro 1025 de « Royaliste – 2012
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