La campagne électorale qui commence vient confirmer le caractère inédit de notre situation politique. Devant des citoyens transformés en spectateurs plus ou plus indifférents, consternés ou révoltés, la bataille se déroule à l’intérieur du milieu dirigeant, ce qui n’est pas nouveau, mais selon le même axe idéologique.

Entre les deux grands rivaux, les surenchères se déroulent donc sur la même pente démagogique avec le soutien actif d’équipes de « droite » ou de « gauche » qui sont prêtes à tous les bricolages, à tous les arrangements possibles et imaginables pour liquider les « dossiers » gênants (la Corse), pour délester le futur président et le gouvernement qui sera constitué après les législatives de ses fonctions politiques et des responsabilités quotidiennes qui en découlent.

En d’autres termes, nous assistons à la mise en application du concept de gouvernance,  qui n’a pas besoin d’être traduit en français pour que nous comprenions sa signification. A l’encontre du gouvernement des hommes, qui implique une mise en œuvre rigoureuse de la loi par l’administration d’Etat, la gouvernance consiste à ne plus gouverner au sens de l’article 20 de la Constitution (« déterminer et conduire la politique de la nation ») et à liquider progressivement l’administration, dépouillée de son pouvoir par des organes de régulation qui ne jouent même pas leur rôle, privée de ses moyens par les privatisations, subvertie par la diffusion de l’esprit, des méthodes et de la langue d’un marketing imbécile et menacée par une nouvelle étape dans la décentralisation qui aboutira, stricto sensu, à l’anarchie locale.

Il n’est plus possible de croire que les patrons et les parrains du milieu dirigeant se contentent de jouer avec des mots à consonance anglo-saxonne. Il n’est plus permis de penser qu’ils s’en tiendront au laisser-faire économique : les dirigeants de « droite » ont renoncé à combattre pour leurs valeurs, et ceux de gauche ne peuvent plus prétendre lutter contre la « société de marché » depuis la diffusion de Loft Story, sa parfaite métaphore.

Aujourd’hui, les équipes de droite et de gauche sont en train de s’entendre pour détruire la structure territoriale de la nation : après avoir déclaré le 15 mai que « la Corse n’est pas le laboratoire de la décentralisation », le ministre de l’Intérieur, répondant à l’attente de Valéry  Giscard d’Estaing et d’autres caciques, s’est déclaré favorable, le 17 mai, à une «nouvelle étape de la décentralisation » tandis que Jacques Chirac souhaitait, le lendemain, que « chaque collectivité d’outre-mer » puisse « évoluer vers un statut différencié, en quelque sorte un statut sur mesure ».

L’unité nationale est désormais en question. Il est inutile de publier de solennelles mises en garde puisque la destruction de la nation et de l’Etat figure dans le programme commun du milieu dirigeant, tel qu’on le lit sous la plume MM. Colombani, Minc et Fauroux. Ceux-là savent ce qu’ils font, et nous disent précisément ce qu’ils veulent défaire : après l’administration centrale et locale, ils mèneront l’attaque décisive contre l’enseignement public puis il s’efforceront de diluer l’armée dans une quelconque machinerie « européenne ». Quant aux magistrats, ils auraient tort d’écouter ceux qui glorifient le Juge : l’autorité judiciaire, qui commence a être soupçonnée, sera tôt ou tard victime de ceux qui veulent, par principe, ruiner toutes les institutions.

Aux citoyens séduits par les thèmes de la « société civile mondiale », de la « modernité » libérale-libertaire et de la « démocratie de proximité », nous dirons sans relâche ceci : le milieu dirigeant est en train, pour la défense de ses intérêts spécifiques, de soumettre la nation française à des Américains qui n’ont pas l’intention de renoncer aux instruments de leur puissance ; la modernité est l’alibi d’un principe concurrentiel radicalement destructeur ; plus les pouvoirs seront décentralisés, plus ils seront soumis à la pression des extrémistes, des groupes financiers et des multinationales du crime organisé.

C’est à toutes ces formes d’oppression, d’exploitation et d’aliénation qu’on est en train de nous livrer. Aucun compromis n’est possible avec le milieu dirigeant. Il faut lui opposer une résistance quotidienne, dans tous les domaines, au nom de l’unité, de la justice et de la liberté.

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Editorial du numéro 773 de « Royaliste » – 28 mai 2001.

 

 

 

 

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