Politique de crise

Déc 1, 2008 | Economie politique

 

Pas de politique concevable et applicable sans une claire appréhension du temps. Cela vaut pour la politique économique et financière, lorsqu’on élabore les plans de lutte contre la crise et les projets en vue d’un nouveau développement.

Ces remarques banales se retrouvent dans maints discours « volontaristes » mais nous continuons de vivre dans un tourbillon d’événements et d’initiatives partielles et irréfléchies qui ajoutent à la confusion produite par une crise violente et multiforme.

En France, nous observons un rythme maniaco-dépressif. Après une année  d’inertie, Nicolas Sarkozy est entré dans phase d’agitation jalonnée de discours et de réunions internationales.

En Europe de l’Ouest, les nations qui se trouvent dans des situations divergentes en tous les domaines (industries, monnaies, endettement des ménages, dette publique, taux antérieurs de croissance…) ne songent plus guère à ajuster leurs réactions.

Aux Etats-Unis, un mandat présidentiel se termine dans la catastrophe générale, les Américains connaîtront jusqu’en janvier la vacance du pouvoir et subiront longtemps ses effets désastreux.

C’est dire l’inutilité du sommet (G 20) tenu à Washington le 15 novembre. Après s’être occupé de psychiatrie suite à un tragique fait divers, avant de consacrer la fin de sa semaine à un séjour privé à New-York, Nicolas Sarkozy a consacré quelques heures à cette réunion présentée comme un « nouveau Bretton Woods » et comme le moment inaugural d’une « refondation du capitalisme ». Cette désinvolture a été remarquée. Le résultat des travaux est consternant.

Les mots de la tribu oligarchique figurent dans la déclaration commune (transparence, régulation, réforme) mais ils n’annoncent aucune opération d’ensemble : la clarification et la rationalisation de l’activité des banques implique qu’elles soient nationalisées et soumises aux investigations de la police financière ; la politique économique suppose la constitution d’un puissant secteur public industriel, capable de dynamiser l’économie nationale et d’entraîner nombre d’entreprises privées en garantissant sur le long terme des partenariat et des activités de sous-traitance dans le cadre d’une économie protégée. Au contraire, les membres du G 20 demeurent dogmatiquement attachés à la libéralisation financière et au libre-échange généralisé.

Cela signifie que l’analyse des causes de la catastrophe n’est même pas commencée. Elle n’a d’ailleurs aucune chance de voir le jour dans les milieux dirigeants, qui vivent luxueusement au sein du système en train de s’effondrer. Il est vain d’attendre des futurs conclaves le contrôle des mouvements internationaux de capitaux, la nationalisation du crédit, la constitution d’économies continentales protégées et la définition d’une nouvelle monnaie internationale.

Sans doute, en France, en Europe de l’Ouest, les oligarques finiront par nous donner raison sur quelques points : entrée dans le capital de banques, relance de l’activité par le déficit public. Mais comme ils ne comprennent pas ce qui se passe fondamentalement (la faillite de l’ultralibéralisme, le déclin des Etats-Unis…) et comme ils ont perdu au moins un an, ils auront toujours un ou plusieurs temps de retard sur le rythme rapide de la crise.

Il faudrait agir par des anticipations raisonnées. On se contente de réactions lentes et molles qui sont d’autant plus diluées dans le temps que les structures internationales actuelles sont en elles-mêmes des facteurs de ralentissement et de confusion : l’usine à gaz de Bruxelles, la banque centrale de Francfort plus particulièrement.

Ces constats ne sont pas désespérés. En France (pas seulement) des chercheurs de diverses disciplines, des journalistes et des citoyens de plus en plus nombreux (ils s’expriment surtout sur la Toile) ont depuis longtemps publié et diffusé des analyses lucides de la crise et ils formulent des propositions qui constituent déjà le socle d’un programme économique et social et d’une nouvelle stratégie dans le jeu international (1). La voie est tracée. Ce sont les moyens politiques qui font encore défaut.

***

(1) Nous présenterons prochainement le livre de Jean-Luc Gréau : La Trahison des économistes, Gallimard/Le Débat, 2008 et celui d’Emmanuel Todd : Après la démocratie, Gallimard, 2008.

 

Editorial du numéro 936 de « Royaliste » – 1er décembre 2008.

 

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