Politiques et intellectuels : la réconciliation

Oct 21, 1991 | Partis politiques, intelligentsia, médias

 

Enfin ! Ils se retrouvent, ils se parlent, peut-être vont-ils s’aimer… Après le silence boudeur des intellectuels et l’indifférence glacée des politiques, l’heure des retrouvailles a sonné…

On avait deviné, je l’espère, la tonalité quelque peu narquoise de notre entrée en matière. C’est qu’il y a plus de comédie que de tragique dans les relations que les intellectuels français entretiennent avec les partis, l’Etat et les principaux dirigeants politiques.

L’histoire de ces relations compliquées a été faite et nous n’y reviendront pas si ce n’est pour résumer brièvement la dernière période : échaudés par leur expérience des partis et des idéologies totalitaires, les intellectuels de la dernière décennie sont rentrés travailler chez eux et se sont mis au service de causes humanitaires ; les politiques, quant à eux, se sont souciés des idées comme d’une guigne parce qu’ils se sont mis à croire à l’efficacité gestionnaire et aux techniques de communication. Hélas, comme dans les films des années soixante, ce fut le triomphe de l’incommunicabilité – avec les citoyens, avec les intellectuels, avec le monde…

Mais voici un nouvel épisode, qui est spectaculairement marqué par le rachat de l’entreprise Séguéla : le pape de la publicité pris dans les filets de Havas, c’est vraiment la fin d’une époque. Et comme un bonheur ne vient jamais seul, nous avons appris, par la plume négligente de M. Poirot-Delpech, de l’Académie française et du Monde (1), que les intellectuels et les politiques étaient sur la voie du rapprochement. Parenthèse : pour quoi « négligente », la majestueuse plume académicienne ? Parce que l’Immortel désigne comme « historien » l’éminent professeur de droit qu’est Olivier Duhamel et prénomme « Alain » l’excellent philosophe Comte-Sponville, dont le nom de baptême est André. Si nous parlions de M. Poireau del Pêche et que notre bévue tombe sous l’illustre regard, vous imaginez la scène !

Reprenons : le « rapprochement » qui s’est manifesté lors d’un colloque au Sénat nous fait réellement plaisir parce que nous n’avons cessé, depuis une dizaine d’années, de le souhaiter dans ce journal, d’en souligner l’urgence auprès des principaux intéressés, d’en démontrer la possibilité et l’intérêt lors des colloques que nous avons nous-mêmes organisés (2). Observons d’ailleurs que le rapprochement date déjà d’une ou deux années et que le Parti socialiste a pris soin d’écouter un grand nombre de chercheurs et d’intellectuels avant de rédiger son projet pour l’an 2 000.

L’affaire est-elle cependant réglée ? Pas encore. D’abord parce que la droite libérale et gaulliste n’a pas saisi l’importance de l’enjeu intellectuel et qu’elle pas les « gisements » d’idées qui sont pourtant à sa disposition. Où ça ? Qui çà ? A eux de deviner, mais ce n’est vraiment pas difficile à trouver… Ensuite parce que la gauche et la droite lorsqu’elle se réveillera, risquent de commettre des erreurs d’appréciation dont nous voulons les prévenir, en bons camarades :

Première erreur : se servir des intellectuels comme des pots de fleurs pour tribunes de colloques et de meetings. Certains organisateurs de réunions sont d’ores et déjà tombés dans ce travers : l’intellectuel de service fait son tour de piste, et puis on passe aux choses sérieuses – aux affaires de boutique.

Deuxième erreur : confondre « l’intellectuel connu » et le chercheur authentique qui peut effectivement nourrir la réflexion. Il est facile de s’y retrouver : la notoriété médiatique est souvent (pas toujours) inversement proportionnelle à la qualité de l’œuvre. On peut même être un intellectuel hypermédiatisé et n’avoir aucune œuvre digne de ce nom, simplement quelques essais et prises de position qui permettent de devenir ce qu’on appelait autrefois une « conscience » – ou plutôt, de faire croire qu’on est devenu, ou qu’on pourrait devenir… N’est pas Sartre qui veut !

***

(1) Dans ce digne journal, en date du 2 octobre.

(2) Les colloques consacrés à la Révolution française et à Maurice Clavel dans la revue « Cité ».

Article publié dans le numéro 565 de « Royaliste » – 21 octobre 1991

 

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