Inspecteur du travail, syndicaliste et militant socialiste (toujours à l’aile gauche de son parti), Gérard Filoche a consacré une quinzaine d’ouvrages à la défense du droit social et à la dénonciation des conditions de vie et de travail qui sont imposées aux salariés.
Dans son dernier livre, il explique les principes fondamentaux du droit du travail, souligne leur caractère indispensable et dénonce les objectifs et la stratégie des ultralibéraux. Voici quelques aperçus de son travail pédagogique.
Contrat Nouvelle Embauche est entré en vigueur par l’ordonnance du 4 août 2005. Il a été conçu par le gouvernement, de même que le CPE (Contrat Première Embauche retiré à la suite de la mobilisation massive du printemps), dans le cadre de l’offensive générale contre le CDI.
Réservé aux petites entreprises (0 à 20 salariés) le CNE est un contrat qui, pendant deux ans, peut être rompu par l’employeur sans motif ni préavis. Gérard Filoche souligne que le Contrat Nouvelle Embauche viole l’article 4 de la Déclaration universelle des droits de l’homme (qui interdit d’exclure le droit à réparation, pour la victime d’une rupture fautive de son contrat), l’article L. 122-14 du Code du travail (qui établit le principe de l’entretien préalable pour tout licenciement individuel) et qu’il contrevient à plusieurs autres textes – dont la Charte sociale européenne !
Même s’il est critiquable, le Contrat à Durée Déterminée offre beaucoup plus de garanties que le CNE.
Corporatisme. A droite, mais aussi à gauche, on entend dire qu’il faut le contrat plutôt que la loi. Des contrats négociés par les acteurs sociaux plutôt que des lois votées par le Parlement ? Cela semble judicieux car des accords discutés au plus près du terrain, de manière pragmatique, répondront plus aux attentes des partenaires que des textes élaborés et votés à Paris par les membres de partis politiques, toujours soupçonnés d’idéologie et de démagogie…
Cette argumentation est spécieuse : elle conduit au corporatisme, qui est une conception idéologique de la société – celle de « corps », d’organisations professionnelles qui règlent sans intervention de l’Etat les affaires du métier. Par références lointaines aux corporations médiévales, le corporatisme n’a existé au 20ème siècle que comme relais de dictatures (Portugal, Italie, Allemagne nazie, Vichy). Il reparaît dans la doctrine du Medef, sous une forme antidémocratique puisque l’organisation patronale souhaite que les élus de la nation soit progressivement dépossédés de leur pouvoir de légiférer dans le domaine du droit social.
Bien entendu, plus la négociation des contrats se rapprochera de l’entreprise, plus les patrons pourront imposer leurs volontés aux salariés. Etranger au souci du bien commun, contraire au principe d’égalité, le corporatisme est un système qui normalise l’injustice.
Hallucinogènes. L’offensive visant à détruire le contrat de travail réellement protecteur est précédée par l’émission de formules et de mots hallucinogènes : « flexisécurité », « sécurisation des parcours professionnels ». Il s’agit de protéger le chômeur (par un régime d’assurance) plutôt que le salarié – mais l’individu chômeur n’aura aucun possibilité de s’opposer à une baisse de ses allocations.
Inspection du travail. Laurence Parisot se plaint de ses interventions. Or, « Il n’y a que 427 inspecteurs du travail et 830 contrôleurs pour 1,2 millions d’entreprises ayant au moins un salarié, soit beaucoup moins de contrôle qu’au début du XXème siècle. (en 1919, il y avait 110 inspecteurs pour 3 millions de salariés). Une entreprise a une chance statistique d’être contrôlée une fois tous les dix ans. Comment lutter pour faire respecter le Code dans ces conditions ? ».
Pensée-Parisot. La pensée de Laurence Parisot rend manifeste les buts de guerre sociale du Medef – organisation de combat qui n’exprime pas nécessairement les soucis et les attentes des entrepreneurs français. La Pensée-Parisot postule que le secteur de l’entreprise privée doit bénéficier d’un statut d’autonomie dans la société française et par rapport au droit français – droit constitutionnel, droit social, lois votées par le Parlement dans les domaines qui concerne la finance et l’entreprise. Les élus de la nation sont déclarés incompétents, le secteur privé doit relever de ses seuls experts, ses règles doivent résulter de contrats plutôt que de la loi. En d’autres termes, Laurence Parisot réclame des « lois privées » – autrement dit l’établissement de privilèges.
Philosophie-Parisot. La Pensée-Parisot repose sur une philosophie : celle-ci s’annonce et s’énonce comme une conception générale de l’homme et du monde (weltanschauung) qui repose tout entière sur le concept de Précarité.
Cette philosophie de la Précarité débouche (Plop !) sur une éthique du risque déjà formulée par d’éminents moralistes (Ernest-Antoine Seillière, Denis Kessler, François Ewald) qui n’ont jamais pris le risque de vivre avec le RMI.
Gérard Filoche montre que cette philosophie est barbare. De tous temps, tous les êtres humains ont cherché à se protéger contre les risques, ce qui a entraîné des révolutions et d’innombrables innovations : agriculture, construction de villes etc. Quant à l’éthique du risque, elle est absurde : l’alcoolique et le cocaïnomane risquent bien plus leur vie qu’un chef d’entreprise qui risque ses capitaux. Faut-il inscrire l’amateur de drogue dans la catégorie des « risquophiles » et l’assuré social qui cesse de fumer parmi les risquophobes ?
Pouah ! L’horreur, pour Laurence Parisot, celle qu’elle rejette de toutes ses forces, c’est le droit de grève, le droit du licenciement, le contrat à durée indéterminée, la fixation du salaire minimum par l’Etat, la fixation de la durée légale du travail par la loi et plus généralement le Code du travail. Le 18 mai 2006, à Lyon, Laurence Parisot a comparé le Code du travail à la charia. Pour elle, « la liberté de penser s’arrête là où commence le Code du travail ». Peut-on soutenir que la liberté de circuler s’arrête là où commence le Code de la route et que la liberté d’agir s’arrête là où commence le Code pénal, fait justement remarquer Gérard Filoche ?
Précarité. Voir « Philosophie-Parisot »
Sanctions. Laurence Parisot proteste contre les condamnations de patrons au pénal. Elles sont peu nombreuses : « il n’y a pas plus de 10 000 à 15 000 procès-verbaux par an contre les employeurs, moins de 5 000 condamnations pour un million d’infractions. Les amendes sont de 1 000 euros en moyenne, et pas plus de 500 peines de prison sont prononcées, dont 480 avec sursis, les 20 cas de prison ferme étant de deux mois en moyenne (non exécutées) pour mort d’hommes avec faute inexcusable ou récidive dans le trafic de main-d’œuvre. »
Salariés. Ils constituent la très grande majorité des travailleurs actifs. « En 1945, un actif sur deux était salarié. En 2005, presque neuf actifs sur dix sont salariés.
Il y a, en 2005, 22,2 millions d’actifs salariés occupés. Au total, 19,1 millions de CDI, 3,1 millions de précaires
5 millions de salariés actifs sont au chômage ou au RMI […] Il n’y a plus que 2,7 millions d’actifs à ne pas être salariés. »
Séparabilité. Selon Laurence Parisot il ne faut plus parler de licenciement mais de séparabilité. Comme toujours, le remplacement d’un mot par un autre annonce une nouvelle pratique sociale : les ultra-libéraux avaient remplacé la justice (sociale) par l’équité afin de couvrir leur stratégie anti-égalitaire. L’employabilité (du travailleur qui est disponible pour une embauche…. si on a besoin de lui) a remplacé le droit (constitutionnel) au travail. Avec la séparabilité, « on libère en apparence le salarié de ses obligations collectives alors que, en réalité, c’est le patron qui en est libéré. »
Smic. Laurence Parisot affirme qu’il est démagogique de faire croire que le Smic doit être fixé par le pouvoir politique car « il doit résulter d’abord de paramètres économiques, comme l’inflation, la productivité et la croissance ». C’est pourquoi, dit-elle, « le Medef demande que le Smic soit à l’avenir fixé par une commission indépendante ». Mais dame Parisot veut ensuite aller plus loin : « On peut aussi imaginer des négociations paritaires pour fixer le Smic par branches et par territoires, car le problème du pouvoir d’achat ne se pose pas exactement de la même façon partout en France ».
Vivre. Qu’est-ce que vivre ? Vaste question… Pour le haut patronat, c’est profiter de la vie pendant que d’autres prennent tous les risques. Laurence Parisot philosophe à son accoutumée : « la vie, la santé, l’amour sont précaires. Pourquoi le travail ne le serait-il pas ? ». Madame Medef ne fait pas de différence entre ce qui relève de la volonté du législateur (le statut du travail) et ce qui échappe plus ou moins aux volontés des personnes (être ou ne pas être aimé, avoir une maladie génétique…).
Mais qu’est-ce que faire vivre ? A un libéral, qui justifiait la richesse d’un ancien patron de L’Oréal en arguant qu’il faisait vivre 50 000 personnes, Gérard Filoche répondit que « ce sont 50 000 personnes qui le font vivre ». Dans l’entreprise « moderne », l’essentiel est considéré comme un accessoire qui peut, à tout moment, être mis au rebut.
Voyous. Laurence Parisot est pour le nettoyage des voyous au Karcher : répression maximale dans les « quartiers difficiles » avec pour principe la « tolérance zéro ». On punit, on emprisonne mais pas n’importe qui ! La patronne du Medef, qui reprend volontiers les thèmes de Nicolas Sarkozy, lui a tout de même reproché de fustiger les patrons-voyous. Tolérance maximale pour les délinquants en cols blancs qui doivent échapper, autant que possible, aux rigueurs du droit pénal. Justice de classe ? Honni soit celui qui utilise une notion marxiste (ou supposée telle) alors qu’il s’agit simplement de protéger des entrepreneurs qui se battent pour des parts du marché mondialisé. Splendeur de l’innocence… hautement rentable.
Sur le temps de travail, sur le droit de licencier, sur la précarité, sur la baisse des salaires, sur le bilan des gouvernements Raffarin et Villepin dans le domaine social, sur les projets qui visent à réduire le rôle de l’Inspection du travail, à diminuer l’influence des syndicats et à limiter le droit de grève, Gérard Filoche apporte des informations et donne des précisions chiffrées qui sont à reprendre et à diffuser. L’ensemble de son ouvrage constitue un très utile manuel pour la lutte sociale.
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N.B. Sauf indications contraires, les citations sont tirées du livre de Gérard Filoche.
Article publié dans le numéro 892 de « Royaliste » – 27 novembre 2006.
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