L’oubli du Politique condamne ceux qui voudraient changer de monde aux agitations stériles qu’engendrent les discours incantatoires. L’altermondialisme est maintenant engagé dans cette impasse avec la bonne conscience que suscite depuis le 19ème siècle le mélange des litanies doloristes et des slogans libertaires.
Sous le révolutionnarisme verbeux, se constitue une économie de la sympathie, aux deux sens du mot : on souffre avec les malheureux du monde entier sans comprendre qu’il n’y a pas de souffrance partagée si l’on n’est pas soi-même frappé par la faim, le froid, la maladie ; on éprouve de la bienveillance pour les « initiatives citoyennes » qui sont prises hors du marché mondialisé.
Si ses apôtres n’y prennent garde, cette économie sympathique finira dans la glorification d’une économie de la survie, insuffisante en elle-même et incapable de participer à la dynamique du progrès général – lorsque celle-ci sera relancée. Cette sympathie planétaire peut même justifier une économie du pire – par exemple celle des groupes qui tentent d’organiser des échanges sans monnaie, c’est-à-dire sans la médiation qui empêche la confrontation violente.
« Penser global – agir local » : le mot d’ordre qui prétend ouvrir la voie d’un « autre monde » se traduit concrètement par des démonstrations mondiales encourageant le repli dans la marginalité – voire le sectarisme communautaire.
Cet échec programmé ne tient pas aux personnes engagées dans la protestation antilibérale mais à leur a-politisme de précaution ou de conviction. Ce qui rend le monde possible, c’est le pouvoir– les deux mots ont la même origine. Et c’est le pouvoir politique qui peut seul servir l’ensemble d’une collectivité historique et juridique existant sur un territoire délimité. Or les porte-parole les plus écoutés de l’altermondialisme négligent ou méprisent les territoires nationaux et les impulsions politiques. Ceci sous prétexte que l’Etat serait un « monstre froid » alors qu’il est un intermédiaire nécessaire dans la nation et entre les nations.
Confusion entre l’Etat et la nation qui nie la capacité arbitrale du pouvoir dans sa forme étatique. Dilution de la collectivité nationale dans l’illusoire « société civile » mondiale. Mépris des frontières historiques (elles relient plus qu’elles ne divisent) par l’inscription des débats et des combats dans l’espace européen et planétaire… On croit tout englober alors que tout échappe pour être finalement récupéré dans le système mondial que l’on voudrait détruire.
Les impasses de l’altermondialisme me sont encore plus clairement apparues lors de la « Journée d’études François Perroux » organisée le 23 janvier à la Faculté de droit de Bordeaux.
Au fil des communications d’une densité impressionnante, apparaissait la cohérence possible entre les Etats nationaux, une « Europe sans rivages » et notre monde réorganisé par des institutions inter-nationales. Quant à la nation, la reprise du dialogue entre Marx et Perroux par le truchement de disciples avisés permettait d’envisager l’intervention de l’Etat dans une société animée par les luttes de classes et les conflits partisans…
C’est dire en trop peu de mots que toutes les médiations étaient envisagées dans une dynamique où les nations dépasseraient leur nationalisme pour participer en tant que telles au concert européen, où l’Europe irait selon sa vocation universelle au-delà d’elle-même, où l’économie mondiale retrouverait la perspective du développement pour tous les hommes.
Dans ces dialogues entre les économistes perrouxiens, keynésiens et néo-marxistes, un royaliste est tout à fait à l’aise dans la mesure où la question du Politique y est effectivement envisagée. Certes,« l’Etat et le roi, ce n’est pas la même chose » comme le remarque André Castel dans ce numéro. Nous regrettons que notre pouvoir mon-archique n’ait pas encore trouvé dans la royauté son principe modérateur, que l’abstraite symbolique républicaine se soit pas encore incarnée dans la figure d’un prince, que la défense aléatoire de l’intérêt général n’ait pas la permanence d’un souci politique, conçu comme exigence première de justice sociale.
Mais notre projet royaliste n’empêche pas le travail commun, en vue de la reconstruction de l’Etat et de la nation.
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Editorial du numéro 831 de « Royaliste » – 2004
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