Pour sauver la politique

Juin 17, 1991 | Res Publica

 

Comme beaucoup d’autres, nous avons souvent critiqué la classe politique ces dernières années. Maintenant qu’elle est persuadée de ses erreurs et de ses insuffisances, il serait dangereux qu’elle se complaise dans l’examen morose de sa crise ou qu’elle choisisse de s’étourdir au petit jeu des scandales comme l’y incite Philippe de Villiers. Aux plaintifs de tous les partis, aux pères nobles de la comédie médiatique, nous disons qu’il faut faire très vite preuve d’une authentique vertu, et non d’une humilité résignée ou d’un moralisme hypocrite, pour que la politique soit sauvée.

Sauver la politique en tant que telle, c’est lui rendre sa définition première de réflexion, de débat, d’action menés par les citoyens dans le souci du bien commun. « Faire » de la politique, que l’on soit de droite ou de gauche, c’est se montrer digne de ce souci, et c’est répondre devant les citoyens des projets qu’on a formés avec eux et pour eux. Cela va sans dire ? Tant mieux.

Sauver la politique, c’est rendre à la parole de ses responsables son autorité propre et sa signification, alors qu’elle est aujourd’hui noyée dans le flux de la « communication ». C’est préserver l’autonomie du souci politique par rapport aux méthodes de gestion, et restaurer la liberté de la réflexion et du débat démocratique par rapport aux techniques qui le pervertissent et l’annulent.

LIBERATIONS

Facile à dire ? Oui. Mais moins difficile à faire qu’on ne le croit. Malgré les apparences, le moment est venu pour les responsables politiques de reconquérir l’autorité qu’ils ont perdue (leur capacité à donner du sens à l’aventure collective) et de retrouver leur pleine légitimité démocratique. Sur quoi faire porter l’effort libérateur ?

– Il faut s’affranchir de la logique des médias, notamment celle de l’information télévisée. Pourquoi ? Parce que le système médiatique obéit à une logique marchande qui n’a rien à voir avec l’expression de la (ou d’une) vérité : le réel et l’irréel, le vrai et le faux ne sont montrés que s’ils peuvent être captés, mis en images et vendus sur le marché. Les événements de Roumanie et la guerre du Golfe ont prouvé que le système de communication fonctionnait au mépris de l’information, sans information, ou par pure et simple fabrication de l’information. Dès lors, les présentateurs-vedettes ne sont plus en droit (s’ils l’ont jamais été) de jouer aux juges indépendants, voire aux justiciers, détenteurs de la vérité des « faits ». Il suffirait que la classe politique s’en avise pour retrouver sa liberté de parole et pour regagner un crédit aujourd’hui confisqué par des gens qui régentent le débat public sans mandat ni contrôle. Toutes les analyses et tous les arguments nécessaires sont immédiatement disponibles : il suffit d’un peu de temps et d’un peu de courage pour engager le combat contre l’une des formes modernes de l’imposture.

– Il faut renoncer aux illusions de la « communication », qu’il s’agisse des sociétés de « conseils » en ce domaine ou des artifices de la publicité. Point n’est besoin de Jacques Séguéla pour inventer le slogan « La France unie », les militants politiques sont là pour ça. Ils ne le font pas plus mal et le coût de la propagande politique peut reprendre des proportions raisonnables. L’expérience malheureuse de Jacques Chirac, qui fit en 1988 la meilleure campagne d’affiches et la plus massive, devrait faire en outre faire réfléchir sur l’efficacité de ce type de « promotion ».

Il faut lutter contre la dictature des sondages, sans hésiter à dénoncer les méthodes des instituts spécialisés et les habiletés dialectiques de leurs politologues appointés. Dans un ouvrage qui devrait devenir la référence de tous les responsables politiques (1), Patrick Champagne a établi que les sondages reposaient sur une fausse science et sur une conception réductrice de l’opinion publique, et qu’ils donnaient une image déformée, manipulée, voire fabriquée de celle-ci. Comme cette pratique modifie l’expression du suffrage universel avant les consultations électorales pour le remettre constamment en cause après le scrutin, comme cette pratique est largement responsable de la banalisation des débats politiques, elle constitue une menace sérieuse pour la démocratie qui doit être soulignée et combattue.

VOLONTE

Il ne s’agit pas d’instituer la censure à la télévision, ni d’interdire les sondages, mais de dénier publiquement toute valeur aux techniques évoquées et toute légitimité à ceux qui, journalistes ou politologues, voudraient imposer leurs critères et leurs règles dans le jeu politique. Dès que cette reconquête de la liberté de parole et de l’autonomie politique aura commencé, le dialogue civique retrouvera clarté et vigueur. Que, dans le même temps, chaque parti engage une réflexion critique sur sa tradition de pensée, que le dialogue soit complètement renoué avec les intellectuels et les chercheurs, et nous pourrons envisager la définition de nouveaux projets pour notre pays.

Qui le premier, parmi les responsables politiques, aura le courage de dénoncer les impostures médiatiques et les manipulations sondagières afin que soient défendues et restaurées les conditions mêmes de la démocratie ?

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(1) Patrick Champagne, Faire l’opinion, Editions de Minuit, 1990.

Editorial du numéro 561 de « Royaliste » – 17 juin 1991

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