Il y a deux mois, la N.A.F. publiait une analyse du livre très lucide de José-Alain Fralon, tout entier résumé dans son titre : « L’Europe, c’est fini ». Il ne s’agissait pas, pour nous, de relancer la polémique contre un européisme déliquescent, mais de prendre acte d’un échec, de signaler la faillite d’une entreprise qui, comme l’écrivait Le Monde à la veille du Conseil de Rome, partait « à la dérive ». D’ailleurs, la « Communauté économique européenne » avait-elle jamais été autre chose qu’un radeau aux planches mal jointes, ballotté par les fluctuations économiques sans pouvoir les dominer, mais depuis toujours et en toutes circonstances à la remorque de l’Amérique ? Il faut en effet rappeler qu’avant même la crise pétrolière de 1973 « l’Europe communautaire » apparaissait comme une gigantesque illusion pour les travailleurs, pour les consommateurs comme pour les régions les plus pauvres et même au niveau des échanges internationaux.

L’ECHEC ECONOMIQUE

Les travailleurs ? Ceux de l’industrie ont cruellement souffert des opérations de restructuration imposées par le jeu de la concurrence capitaliste. Et ceux de l’agriculture — dans notre Midi en particulier — sont en train de subir la dure règle de l’ouverture des frontières face à laquelle ils sont désarmés Les consommateurs ? Il suffit de comparer les prix des médicaments, du pain, du sucre, du tabac ou des machines à laver dans les pays du marché commun pour constater que « l’Europe des consommateurs » promise en 1959 est un mythe grossier, qui masque les sordides réalités des ententes capitalistes. Les régions ? Les déséquilibres n’ont cessé de s’accentuer, conformément à la vieille loi du libre-échange qui favorise les plus riches et appauvrit des déjà pauvres. Les échanges internationaux ? Leur libération devait entraîner l’égalité des nations dans la richesse alors que le déficit constant de notre balance commerciale avec l’Allemagne démontre le contraire et que l’influence de la constitution de la C.E.E. sur le développement des échanges a été minime, voire nulle. Piètre résultat, pour ce marché commun industriel et agricole ! Celui-ci ne représentait pourtant que la première étape d’un processus qui devait triomphalement aboutir, par une savante intégration économique, à l’éclosion de l’Europe politique. Là encore, le résultat n’a pas été à la mesure des promesses et il serait fastidieux de rappeler la longue série d’échecs qui a marqué la tentative d’intégration économique : rappelons simplement l’enlisement de la politique d’harmonisation des fiscalités, des planifications nationales, des transports, des politiques monétaires ou encore des politiques sociales.

L’IMPOSTURE

Devant un bilan aussi lamentable, la décision de faire élire le Parlement européen au suffrage universel constitue une quadruple imposture :

— Imposture parce que le Conseil des Neuf fait comme si l’Europe était une véritable communauté humaine alors qu’elle n’est que la juxtaposition maladroite de peuples attachés à leur indépendance.

— Imposture parce que le Conseil des Neuf fait comme si l’Europe était un succès tel qu’il ne s’agirait plus que de couronner l’œuvre par des institutions politiques représentatives.

— Imposture parce que l’Europe que ce Parlement sera censé incarner n’est que l’aire d’expansion des firmes multinationales, le champ de manœuvre du grand capitalisme, l’humble servante de l’impérialisme américain.

Faut-il à ce propos rappeler le lâche abandon de nos voisins européens lors de la conférence de 1972 sur l’énergie ? Faut-il rappeler que les pays « européens » sont membres de l’OTAN et donc soumis au chantage permanent de Washington ? Faut-il rappeler que plusieurs d’entre eux ont choisi le F. 16 américain au lieu du « Mirage » français, révélant une nouvelle fois leur dépendance à l’égard des Etats-Unis ? — Imposture enfin parce que ce Parlement européen ne sera jamais, comme aux tristes jours du parlementarisme français, que l’instrument des groupes de pression capitalistes et le valet de certaines puissances. C’est dire que nous dénions à cet organisme toute légitimité authentique et toute représentativité vraie. C’est dire que tout ce qui sortirait de cette assemblée serait l’objet des plus justes soupçons et frappé de nullité. C’est dire que rien au monde ne pourra empêcher les peuples de considérer tout député européen comme un vendu, ou comme le complice objectif de toutes les félonies. C’est dire qu’il faut s’attendre à ce que la décision insensée des Neuf provoque les plus légitimes colères. Cette assemblée de Strasbourg n’a que peu de pouvoirs ? Sans doute. Mais une mécanique est enclenchée, qui se fonde sur des impostures et qui aboutira à des abandons de souveraineté. Car rien ne dit que le Parlement européen, une fois paré de la prétendue légitimité d’une élection « européenne », ne cherchera pas à s’emparer de pouvoirs, à légiférer pour le continent, à dicter aux Etats la politique élaborée sous la dictée des Américains et des groupes de pression.

LE FRONT DES PATRIOTES

L’élection n’aura lieu que dans deux ans ? Mais la bataille commence tout de suite. Certains ne demandent-ils pas une révision de la Constitution, et ne prête-t-on pas au gouvernement l’intention de faire un référendum sur la question ? Le pari est dangereux et rien ne dit que Giscard s’y décidera. Sans doute pourrait-il jeter le trouble chez les socialistes et tenter de liquider la fraction la plus patriote de la majorité. Mais il n’a pas oublié, non plus, l’échec relatif du référendum de 1972… Enfin, selon les circonstances, le pouvoir peut tout aussi bien minimiser la question qu’en faire son grand dessein politique. Nous ne savons donc pas encore comment la bataille s’engagera. Mais nous connaissons l’objectif : mettre fin à l’imposture européiste, empêcher toute politique d’abandon, faire échec aux hommes qui occupent le pouvoir. L’enjeu est tel que les patriotes ne sauraient combattre en ordre dispersé. Comme au temps de la Résistance, ils doivent s’unir par-delà les querelles partisanes et idéologiques. Comme au temps des premiers combats contre l’Europe supranationale — qui avait vu l’union des gaullistes, des communistes et des royalistes — ils doivent constituer au plus vite le front des patriotes contre l’Europe capitaliste et américaine. Il y va de notre liberté.

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Editorial du numéro 217 de la NAF, bimensuel royaliste – 8 janvier 1976

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