Pour une Europe démocratique

Déc 16, 2007 | Chemins et distances

Sortons un moment du confinement bruxellois et réfléchissons à l’avenir démocratique de notre Europe sans rivages – à la Russie, à la Turquie, aux Balkans, aux nations naguère inscrites dans l’ensemble soviétique.

Pour amorcer ce débat nécessaire, il faut commencer par se débarrasser des clichés, slogans et mensonges qui tissent le récit médiatique. A cet égard, les commentaires sur les élections législatives en Russie furent consternants d’ignorance et de mauvaise foi. En deux mots : la victoire de Vladimir Poutine s’explique par le redressement économique du pays, qui avait commencé avant lui et qui se poursuivra après lui (1) ; la critique de son bilan devrait porter sur les mauvaises conditions de vie de trop nombreux Russes et sur les violences dont sont victimes les travailleurs venus d’Asie centrale et du Caucase…

Mais les mouvements d’opposition politique ? Ils ne permettent pas de structurer des débats et des combats démocratiques. En Russie, les nostalgiques du soviétisme ne forment pas un parti de gouvernement et les libéraux sont totalement déconsidérés ; en Asie centrale, les islamistes font planer la menace de guerres civiles ; en Ukraine, en Géorgie, au Kirghizstan, les changements d’équipes présentés comme des « révolutions » ont tous été décevants.

Faut-il se résigner et fermer les yeux sur les atteintes aux libertés publiques, sur la négation des droits sociaux et des droits de l’homme – à commencer par le droit à la sûreté ? Certainement pas. D’ailleurs, celui qui voyage dans la grande Europe est immédiatement requis : on lui décrit l’insupportable, on lui demande des explications et des perspectives. Il est impossible de donner des réponses immédiatement satisfaisantes. Mais les Français qui éprouvent une réelle amitié pour les peuples que j’évoque pourraient prendre pour eux-mêmes quelques résolutions utiles :

-combattre les ingérences imbéciles et leurs présupposés idéologiques. La stratégie des Américains et de leurs relais en Europe consiste à promouvoir les droits de l’homme et à réorganiser la « société civile » selon ses traditions historiques. C’est beau comme l’antique mais cela conduit à des opérations irresponsables ou odieuses. Sous couvert d’action humanitaire ou de diffusion d’informations objectives, les ONG financées par les « occidentaux » se livrent à un travail de sape des autorités en place au profit de personnages falots ou d’oligarques déchus et incitent les véritables opposants à descendre dans la rue pour des manifestations sans espoir – par exemple en Biélorussie.

A Paris, les intellocrates s’indignent et renforcent leur image grâce aux coups de matraque que d’autres reçoivent. Sur place, les bienveillants en mission ne s’aperçoivent pas qu’ils choquent les populations par leur comportement (on ne va pas en boîte de nuit quand on lutte contre la faim dans le monde) et que le « retour à la tradition » se fait dans la violence comme peuvent en témoigner d’innombrables femmes battues.

– comprendre que nos amis ont moins besoin de conseils que d’exemples à méditer par eux-mêmes et pour eux-mêmes. Comment dénoncer la xénophobie des autres si les services de l’Ouest européen refusent, avec une minutie humiliante, de simples visas de tourisme ? Peut-on pétitionner pour les libertés publiques à l’Est et consentir, en France, à un déni de démocratie ?

– expliquer que des partis démocratiques de droite et de gauche ne peuvent surgir ni du néant, ni de l’ambassade des Etats-Unis, ni des intrigues d’exilés corrompus. Il y a un long chemin à parcourir qui implique un approfondissement de la pensée – sur l’identité nationale, sur l’Etat, sur le libéralisme politique, sur le socialisme démocratique. Peut-être pouvons-nous y contribuer, si nous reconnaissons avec Emmanuel Todd que la modernisation n’est pas nécessairement une occidentalisation.

– suggérer que l’on commence par s’engager dans la voie syndicale pour reconstruire un système de droits sociaux et former une nouvelle élite capable, à terme, de faire de l’Etat le garant de la démocratie politique et sociale.

Chemin faisant, nous pourrions inventer un nouvel internationalisme – une internationale des nations.

***

(1) Cf. mon article sur le séminaire franco-russe de juillet 2007, Royaliste n° 912, pp. 6-7.

 

Editorial du numéro 916 de « Royaliste » – 2007

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