Première République : L’étrange anniversaire

Nov 2, 1992 | Res Publica

 

Un anniversaire. Quel anniversaire ? Souvenez-vous, que diable ! 1792. Septembre. Le 21. L’anniversaire de Valmy ? Non, c’est la veille que Kellermann battit les Prussiens : dernière victoire française avant l’abolition de la monarchie… Vous y êtes, le 21 septembre 1792, la Convention proclamait la République et, deux siècles plus tard, c’est comme s’il ne s’était rien passé. Pas de célébration officielle, et des commémorations si timides que peu de Français les ont remarquées : quelques émissions, quelques colloques, quelques livres composant pour quelques-uns des évocations tout aussi remarquables par leur densité que par leur discrétion. Etrange anniversaire qui a été célébré en douce lors des fêtes du bicentenaire de 1789 qui se sont terminées, souvenez-vous, par les cérémonies de Valmy.

PAQUET FESTIF

Pourquoi ce bouclage hâtif, ce jeu avec les dates, ce « paquet festif » – d’ailleurs bien ficelé – qui ne retenait de la Révolution française que les événements relatifs … à la période monarchique ? Deux explications viennent à l’esprit. D’une part on a voulu, à juste titre, célébrer en 1789 les Droits de l’Homme qui sont le principal acquis de la Révolution française et l’enjeu de cette fin de siècle. D’autre part, la séquence Bastille-Constituante- Déclaration-Valmy célébrée en une seule fois permettait de ne pas aborder la part sombre de la période révolutionnaire qui commence en 1792. Fêter la proclamation de la première République, c’est immanquablement réveiller les souvenirs tragiques – ceux de la guerre en Europe et de la guerre civile en France, de la dictature et de la Terreur, de l’échec final un certain 18 Brumaire. Imagine-t-on, par exemple, la glorification du procès et de l’exécution de Louis XVI dans un pays qui a le souci de l’État de droit et qui a aboli, voici onze ans, la peine de mort ? D’où l’heureuse discrétion des politiques, qui laissent toute la place aux philosophes et aux historiens.

De fait, la première République est bel et bien devenue un monument historique dans lequel nous ne sommes plus impliqués de manière passionnelle – ce qui redouble sans doute le sentiment d’étrangeté de ce non-anniversaire. Le temps a passé, que voulez-vous ! N’en déplaise à Jean-Pierre Chevènement, les poses jacobines-héroïques font sourire. Et les menues gesticulations « contre-révolutionnaires » ne soulèvent pas plus d’émotion. D’ailleurs, il y aurait une recherche fort instructive à faire sur la mémoire des guerres de Vendée dans la tradition monarchiste : cherchez dans l’œuvre de Maurras, vous n’y trouverez que des propos de circonstance. Curieux, non ?

Ces remarques ne signifient pas que le débat sur la République soit inactuel. Au contraire, le déclin des passions permet aujourd’hui de souligner les questions majeures (1) que je rappelle brièvement. La première difficulté réside dans la définition même de la République : ou bien il s’agit, selon l’étymologie, de la res publica, du bien commun et en ce cas les royalistes sont tout aussi républicains que d’autres ; ou bien la République désigne un type d’institutions, mais alors sa définition devient impossible.

Pourquoi ? Parce la République instituée recouvre tout à la fois le Comité de Salut public, la République parlementaire et sa dégradation en régime d’Assemblée, et la 5e République. Parce que la République désigne seulement le régime où il n’y pas de roi, définition négative qui ne suffit pas à fonder un État.

LE MANQUE

D’où les difficultés majeures que rencontre depuis deux siècles la tradition républicaine. Le transfert de souveraineté qu’elle accomplit (du roi à la nation) ne garantit pas la démocratie – « découverte » tardive du parti républicain à la fin du siècle dernier. La mise à mort du roi laisse un vide institutionnel qui a été comblé au bout de … 169 ans par la République c’est-à-dire par l’institution d’une monarchie élective. Mais il reste une carence symbolique qui est compensée, dans la mauvaise conscience et dans la contestation quasi-permanente, par une figure « charismatique », par un homme plus ou moins providentiel, au mépris de la vieille tradition républicaine et au risque du culte de la personnalité. La République n’est pas concevable sans les grands hommes que sa tradition vénère et récuse tout à la fois.

Comment dépasser cette contradiction en comblant à la fois le vide institutionnel et le manque symbolique ? Il suffirait de donner une famille royale à la République, comme l’écrivait voici quelques armées Régis Debray. Boutade de sa part ? Pas tout à fait. Pirouette de votre éditorialiste ? Du tout ! La res publica a besoin d’être incarnée autrement que par la figure abstraite de Marianne, humanisée depuis peu sous les traits d’une star. Mais il faut aussi que le roi devienne l’homme de la fonction républicaine, qu’il soit autrement qu’en paroles le serviteur de l’État et de la nation. Il y faudra les circonstances, mais d’abord la volonté.

***

(1) Claude Nicolet, La République en France, Seuil, 1992, et ma réponse dans notre numéro 576, ainsi que Blandine Kriegel, La République incertaine, Quai Voltaire, 1992.

Editorial du numéro 587 de « Royaliste » – 2 novembre 1992

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