Primes à la terreur

Sep 19, 2004 | Chemins et distances

Après le massacre commis par une poignée de fanatiques en Ossétie du Nord, il nous faut modifier et durcir la critique des directeurs autoproclamés de la conscience nationale.

Sur les principales chaînes de télévision et à la une des quotidiens « de référence » leurs positions sont d’autant plus pures, leurs postures d’autant plus belles qu’ils interviennent, à bonne distance, sur certaines questions internationales dûment sélectionnées.

Le terrorisme islamiste est leur sujet de prédilection. Camper sous les projecteurs au milieu du camp du Bien est agréable, surtout quand on a fait dans sa jeunesse l’apologie du goulag chinois. Dénoncer l’horreur des attentats, étaler sa compassion pour les victimes, proclamer que la quatrième guerre mondiale est commencée – voilà qui donne assurément le beau rôle, moral et martial à la fois.

Depuis des années, nous dénonçons ces bavardages et cette gestuelle. Après Régis Debray (1), nous avons dit et répété qu’un acte terroriste n’avait pas de spectateur mais seulement des complices. Incapables de changer le cours de l’histoire, les terroristes islamistes n’ont d’autre pouvoir que de répandre l’effroi sur le monde.

Ils n’y parviendraient pas sans la publicité inouïe donnée par des médias qui ont atteint le point extrême de la malfaisance lors des attentats du 11 septembre. Qui ne voit, hors de quelques cénacles germanopratins reliés aux maîtres de l’audiovisuel, que la culture de l’émotion donne une formidable prime à la terreur ?

Il y a un autre mode de complicité avec le terrorisme, que j’avais déjà souligné à l’automne 2002 lors de la prise d’otages du théâtre moscovite de la Doubrovka par des Tchétchènes fanatisés.

Comme la « cause tchétchène » a été sacralisée par nos directeurs de conscience, le terrorisme qui frappe la Russie et le Nord du Caucase fait l’objet d’un traitement médiatique tout à fait particulier. L’explosion en vol de deux avions de ligne russes en août dernier a été commentée avec une rare économie d’adjectifs. Et le massacre commis de 339 parents et enfants à l’école de Beslan le 3 septembre a été mis aux normes en trois temps : réprobation rapide de l’attentat, banale compassion pour les victimes et virulente dénonciation de Vladimir Poutine.

Les indépendantistes tchétchènes auraient été poussés à bout par les exactions russes et le président de la Fédération de Russie serait un criminel de guerre doublé d’un incapable, élu de surcroît dans des conditions suspectes…

On oublie de dire que l’indépendance de fait de la Tchétchénie, entre 1996 et 1999, a placé la population du pays, composé de Russes, de Tchétchènes pro-russes et d’indépendantistes, dans la tenaille formée par les islamistes locaux – soutenus par les compères saoudiens et afghans – et par les clans mafieux spécialisés dans les enlèvements de riches tchétchènes et d’occidentaux. Il suffit pourtant de quelques coupures de presse pour se rafraîchir la mémoire.

Les atrocités commises en Tchétchénie par des militaires russes sont indéniables, les carences des forces de sécurité russes sont notoires et Vladimir Poutine est à maints égards critiquable. Mais n’oublions pas l’objectif premier de tous les terrorismes nationalitaires : ruiner la légitimité du pouvoir politique en démontrant, par des attentats sanglants, son incapacité à protéger la vie des simples citoyens et à rétablir la paix dans les régions déstabilisées.

Ainsi, les imprécations lancées à Paris contre le président légalement élu de la Fédération de Russie, lors des attentats qui visent son pays, constituent un encouragement manifeste à de nouveaux massacres.

Nous partageons quant à nous les soucis de ceux qui souhaitent une solution politique à la tragédie tchétchène et nous demandons qu’on examine sérieusement les propositions faites pour éviter d’autres bains de sang dans le Caucase (2).

Dans l’immédiat, la solidarité active exprimée par le président français au peuple russe et au chef d’Etat qu’il a démocratiquement élu est concrètement nécessaire et politiquement justifiée.

***

(1) Lire ou relire le n° 13 des Cahiers de Médiologie, consacré à « La scène terroriste », Gallimard 2002.

(2) cf. l’article de Jacques Sapir dans Le Figaro du 8 septembre.

 

Editorial du numéro 843 de « Royaliste » – 2004

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