Malgré la vive campagne déclenchée contre Jörg Haider, les opinions publiques ne se sont pas mobilisées – mais seulement les militants de gauche, pendant quelques journées.

Cette indifférence relative tient à la faiblesse du danger représenté par le skieur carinthien, mais surtout à l’attitude des chefs de gouvernement européens : protestations faites, tous se sont mis au travail avec les représentants autrichiens dans le cadre de la conférence intergouvernementale chargée de réformer les institutions européennes. Nos médiatiques directeurs de conscience échappent facilement à ces contradictions : de leurs tribunes, ils peuvent dénoncer le mal et les méchants tout au long de la semaine. Mais on comprend que le mélange de la gesticulation irresponsable et du réalisme hypocrite soit sans effets sur des populations plus lucides qu’on ne le croit en haut lieu.

Gouvernementale ou journalistique, la posture « antifasciste » n’en demeure pas moins digne d’intérêt. Certains estiment qu’elle permettrait aux ultralibéraux de nous distraire de la violence économique, de même qu’elle masquait dans l’entre-deux-guerres la terreur stalinienne. J’y vois pour ma part, chez les plus convaincus, un effort désespéré pour sauver la construction ouest-européenne.

Paralysie politique, destruction industrielle, désastre social, faillite de la bureaucratie bruxelloise : l’échec des Quinze est évident. Et aucune commission de réforme n’évitera la faillite d’une organisation qui ne parvient plus à assumer un double paradoxe :

– l’Union européenne à visée supranationale fonctionne utilement par la coopération des Etats et des nations qui la définissent et la constituent ;

– cette moitié d’Europe n’a trouvé un semblant d’existence politique que dans l’antisoviétisme – qui la plaçait sous l’égide américaine tandis que la France menait son propre jeu dans la perspective de l’Europe de l’Atlantique à l’Oural.

Le projet gaullien était cohérent dans la mesure où il offrait une issue politique positive à la chute prévisible du communisme soviétique. Lorsqu’elle s’est produite, les milieux dirigeants européens n’ont pas su saisir l’occasion d’une réunion des deux moitiés de l’Europe, selon la voie trop timidement ouverte par François Mitterrand. Faute de perspective positive, les Quinze tentent de trouver le nouvel ennemi qui pourrait les fédérer. Telle est la stratégie exposée par les intellectuels européistes, qui mènent campagne contre Milosevic, Haider et Poutine. Telle est l’intention agressivement exprimée par certains dirigeants européens, entre deux réunions « réalistes ».

On pourrait tranquillement disserter sur ces campagnes d’agitation, si elles n’avaient pas eu pour premier aboutissement la guerre menée contre la Yougoslavie au printemps dernier. Ce recours à la violence (le droit international étant sciemment violé) montre que les velléités d’autoaffirmation d’une Europe politique relèvent de pulsions morbides, de fantasmes sacrificiels, de réflexes punitifs. Lesquels aboutissent à une automutilation puisque l’Autriche, la Yougoslavie et la Russie font partie de l’Europe.

De fait, la stratégie européiste est absurde, puisque les expéditions militaires et la condamnation morale de nations européennes favorise les sentiments nationalistes et xénophobes qu’on prétend vertueusement réprimer, en faisant comme si le nazisme était un caractère héréditaire des Autrichiens, comme si le nettoyage ethnique était une coutume propre aux Serbes, comme si la Russie était intrinsèquement stalinienne.

Cette stratégie est inopérante puisque la construction européenne continue de s’effondrer tandis que Milosevic est toujours au pouvoir à Belgrade, tandis que le Kosovo fait l’objet du partage ethnique qu’on voulait éviter. Le parti de Haider restera au pouvoir tant que les Autrichiens en décideront ainsi, et rien n’empêchera les Russes d’élire Vladimir Poutine dans quelques semaines.

Cette stratégie est dangereuse pour nous-mêmes car elle nous place dans la logique de la guerre de Sécession – celle d’une refondation sanglante, mais qui est vouée à l’échec.

Face à la folie qui nous guette, restons résolument gaulliens et capétiens : l’Europe paisible et démocratique se constituera par l’entente et la coopération entre ses Etats souverains.

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Editorial du numéro 745 de « Royaliste » – 6 mars 2000

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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