Quand les rats montent à bord

Fév 9, 1998 | Partis politiques, intelligentsia, médias

 

Dans cette chronique, il sera question d’animaux marins, de rats, et de capitaines, de boas, mais surtout d’une classe qui agonise dans le cynisme et le déshonneur.

L’époque est folle. De cette folie qui précèdent les catastrophes. Nous ne vivons pas dans un système, mais déjà dans sa caricature. Regardez le CNPF, qui se donne pour patron un baron milliardaire. Et Anne Sinclair, qui revient à la lucarne faire du Anne Sinclair après le livre que Anne a consacré à Sinclair. Et François Hollande, qui croit diriger le Parti socialiste alors que Jospin-le-Rigide atteint presque le terme de sa régression libéral-molletiste. L’époque est folle. André Malraux l’a dit superbement, voici vingt années : « Nous vivons une époque de psychodrame, et tous les rats qui ont occupé le bateau se sont mis des casquettes de capitaine » (1). La folie n’a fait que croître car, aujourd’hui, les rats (2) ne quittent pas le navire en train de couler : ils se précipitent pour monter à bord, au son des flûtes ultra-libérales.

Plus étrange encore. Ces reniements glacés. Ces liquidations cyniques. On se vautre dans Le Point. On se roule dans L’Express. Nicole Notat célèbre la flexibilité. Martine Aubry casse le SMIC. Philippe Séguin bazarde les derniers restes de l’héritage gaullien en huit mots imbéciles : « Aujourd’hui, tout le monde est libéral, même Castro ! ». En 1968, tout le monde était gauchiste, même Pompidou ? En 1940, tout le monde était hitlérien, même Pétain ? Et ainsi de suite. Le président de l’ex-RPR a inventé la formule qui justifie toutes les démissions, toutes les soumissions.

Philippe Séguin. Main molle, mépris de fer. Je l’ai vu humilier ses conseillers, piétiner ses militants, dans l’alternance des ivresses de l’ambition et des gueules de bois solitaires. Toujours seul, mais puissant, il est désormais placé devant un choix de western : effacer Balladur et Sarkozy, ou bien être liquidé par le vizir déchu et absorbé par le petit boa de Neuilly. Quel destin ! Bazardés sans l’ombre d’un remords, les jeunes séguinistes se souviennent-ils que nous les avions prévenus ?

Les militants socialistes ne seront pas mieux traités. Répétons que, de droite ou de gauche, les rats-capitaines se disputent la barre d’un navire en perdition.

Les libéraux ont perdu la bataille idéologique : les milieux intellectuels sont de plus en plus hostiles à la Pensée unique.

Les libéraux ont perdu la bataille de l’opinion publique qui a plébiscité les livres de Viviane Forrester et de Serge Halimi. Non aux Chiens de garde de ceux qui imposent l’horreur économique : c’est logique !

Les libéraux ont déserté tous les fronts du combat politique, ce qui les rend malheureusement vulnérables à la démagogie national-populiste qu’un mouvement révolutionnaire étoufferait par sa seule dynamique.

Les libéraux multiplient les tactiques défensives, comme l’ont toujours fait les dirigeants aux abois. Pratique systématique du mensonge, qu’il s’agisse des camouflages sémantiques (on est pour la souplesse contre la flexibilité), des manipulations statistiques, ou des innombrables sophismes qui tiennent lieu d’argumentation raisonnée. Mesures autoritaires (l’évacuation des Assedic par la police) et actes de censure commis par certains patrons de presse qui imposent une couverture minimale de l’agitation sociale.

Mais nos dirigeants savent que leurs jours sont comptés, et laissent paraître leur angoisse. Il y a par exemple cette pose historicisante qui conduit certains dirigeants politiques à faire paraître sous leur signature un ouvrage consacré à un grand homme d’État – depuis le Henri IV attribué à François Bayrou jusqu’au François Ier assemblé par Jack Lang en passant par le Georges Mandel revendiqué  par Nicolas Sarkozy. Surtout, nous observons depuis longtemps la frénésie triste des uns, et cette manière qu’ont les autres de vérifier qu’ils marchent encore lorsqu’on leur dit que la mort est devant eux. On avance, disent-ils. Il faut refuser d’aller avec eux.

***

(1) Cité par Olivier Germain-Thomas, Les Rats capitaines, Editions libres Hallier, 1978.

(2) « Rat » n’est pas nécessairement une injure. Malgré l’ombre portée de Philippe Séguin, pensons aux petits rats de l’Opéra.

Article publié dans le numéro 701 de « Royaliste » – 9 février 1996.

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