Que faire contre Amazon ?

Oct 21, 2022 | Economie politique

 

 

Les plateformes numériques bouleversent les échanges dans de nombreux domaines, avec le consentement de légions de consommateurs. Il est possible de trouver des stratégies alternatives.

Le paradoxe est connu mais il a pris une dimension spectaculaire avec le prodigieux développement des plateformes telles Amazon et Alibaba : la concurrence dérégulée sur le divin marché entre les entreprises aboutit à la constitution d’oligopoles – quelques entreprises dominent le marché – et de quasi-monopoles privés. Professeur d’économie, spécialiste du commerce et de la consommation, Philippe Moati analyse ces “places de marché” (1) qui nous sont devenues familières mais qui restent opaques dans leur fonctionnement.

En 2020, le chiffre d’affaires d’Amazon était de 386 milliards de dollars, alors que celui de Carrefour n’atteignait que 83 milliards de dollars. Il était de 109 milliards de dollars pour le chinois Alibaba, en pleine expansion. La puissance commerciale de ces géants est appuyée par de hautes capacités technologiques dans le transport des colis et le traitement des données stockées. Amazon en vient à concurrencer par ses propres produits ceux que les marchands ont installés sur sa plateforme et les clients de ces marchands – par exemple pour l’habillement ou l’alimentaire – sont avant tout des clients d’Amazon. Par diverses méthodes, les consommateurs tendent à devenir des acheteurs captifs.

Les dynamiques cumulatives qui assurent la domination d’Amazon sont quelque peu freinées par deux facteurs : les marchands peuvent se placer sur plusieurs plateformes ; les consommateurs peuvent répartir leurs achats sur Carrefour, Rakuten etc. On voit par ailleurs que Google et Facebook s’installent sur le secteur du commerce en ligne et que l’américain Walmart peut prétendre rivaliser avec Amazon.

En France, aucun distributeur national n’est de taille à affronter la plateforme américaine. Cependant, le groupe Mulliez (Auchan, Décathlon, Leroy Merlin…) pourrait tenter l’aventure avec des chances de succès. Après avoir envisagé cette solution, Philippe Moati écrit qu’il “est permis de rêver à une autre option” : celle d’une union sacrée des principaux groupes de la distribution française acceptant de mutualiser leurs capacités. “L’impulsion pourrait venir d’un Etat qui, comme aux belles heures du cinquième Plan, aurait compris la nécessité de faire émerger un champion national dans ce domaine”. Philippe Moati fait observer qu’un tel projet serait condamné par les services européen de la concurrence et en vient à imaginer que la Commission européenne pourrait changer de politique – tout en concluant que ce renversement de perspectives n’a aucune chance de se réaliser.

D’autres voies sont explorées avec précision par Philippe Moati qui insiste sur l’urgence d’une réaction concertée. Passées maîtresses dans l’intelligence artificielle, les plateformes géantes sont en train de mettre au point des systèmes de commande vocale par le biais d’objets connectés qui attireront des consommateurs encore plus nombreux.

Le pire peut encore être évité. La convergence entre les oppositions – celle des militants syndicaux, des commerçants indépendants, des défenseurs de l’environnement, de certains élus nationaux – pourrait conduire le Parlement à opposer des barrières législatives à la violence du capitalisme de plateforme.

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(1) Philippe Moati, La plateformisation de la consommation, Peut-on encore contrer l’ascension d’Amazon ? Gallimard/Le Débat, novembre 2021.

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