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Des soldats français meurent au Liban. Au Tchad et en Mauritanie, d’autres soldats français sont engagés dans des opérations militaires, risquent leur vie — comme ces aviateurs qui ont récemment bombardé une colonne du Polisario.

Pourquoi ? Le gouvernement refuse de répondre clairement, le ministre des Affaires étrangères se contentant d’invoquer des accords de coopération et la protection des ressortissants français. Comme si un bombardement en plein désert avait un rapport avec la protection des Français vivant en Mauritanie. Les Français continueront donc à ignorer les véritables objectifs de la politique gouvernementale, en Afrique comme au Proche Orient — où nos troupes n’opèrent même pas sous commandement français. Cela un mois après des élections où, parait-il, le peuple souverain a choisi, en même temps que ses dirigeants, une politique.

SALES GUERRES

Mais cette politique n’existe peut-être pas et pendant la campagne électorale, la majorité n’a pas posé la question des interventions militaires. Pas de consultation. Pas de choix. Mais des mensonges officiels pour que les citoyens ne s’aperçoivent pas que leur pays risque d’être entrainé dans de sales guerres. C’est ce que M. Giscard d’Estaing appelle la « démocratie française ». Une « démocratie » qui exclut la diplomatie, conduite par quelques hommes dans la clandestinité. Une « démocratie » qui exclut l’économie puisque le gouvernement a attendu le lendemain des élections pour dévoiler son plan, qui aboutira à un surcroît de chômage et d’inflation.

Quant à la politique politicienne, telle que Giscard voudrait la faire évoluer, elle ne semble pas correspondre aux désirs et aux refus exprimés les 12 et 19 mars derniers : alors qu’une courte majorité d’électeurs manifestait son refus de la gauche, le Président de la République a repris son vieux rêve d’un « gouvernement au centre » qui, en associant des socialistes au parti giscardien, rejetterait dans deux ghettos les communistes et les chiraquiens. D’où la proposition faite au Parti socialiste d’envoyer un représentant à la conférence sur le désarmement.

TROMPERIES

Je ne sais si la présence de Jean-Pierre Cot dans la délégation française marquera le début d’un renversement des alliances. Mais il est certain qu’à gauche comme à droite les électeurs ont été trompés :

— D’abord par le Président de la République, qui s’était présenté comme le rempart contre une « aventure collectiviste ». Le voici maintenant qui se prépare à pactiser avec ceux qu’il désignait comme de dangereux adversaires.

— Ensuite par M. Mitterrand qui s’est toujours présenté comme le chef incorruptible d’une opposition pure et dure. Et le voici qui accepte de cautionner une partie de cette politique présidentielle qu’il criblait de flèches il y a quelques semaines. C’est sans doute ce que le Premier secrétaire du P.S. appelle la « démocratie socialiste ».

Une « démocratie » qui, de gauche comme de droite, se moque des électeurs. Des partis « démocratiques » et parfois même favorables à l’autogestion qui se moquent de leurs militants : de même que la direction communiste n’a pas informé ses militants de ses véritables objectifs, la direction socialiste a décidé d’envoyer Jean-Pierre Cot aux Etats-Unis sans consulter la « base ». Voilà comment on vit la démocratie dans cette gauche si prompte à donner des leçons. N’avions-nous pas raison de dénoncer le détournement d’espérance qu’elle est en train d’opérer, et de refuser le piège de la logique partisane dans lequel certains voulaient nous enfermer ?

Mais il ne suffit pas d’avoir raison. La faillite des partis politiques recèle autant de dangers qu’elle offre de possibilités. Le premier risque est la démobilisation de militants dégoûtés par les conflits d’appareils et les combines d’état-major, qui ferait perdre au pays tout potentiel de dévouement et de générosité. Le second danger est que le désespoir engendre le terrorisme sur le modèle de ces Brigades Rouges qui ont assassiné dans des conditions odieuses Aldo Moro. Un tel comportement n’est pas seulement criminel il est aussi suicidaire : l’inévitable répression ne viserait pas seulement les réseaux de tueurs et de poseurs de bombes, mais tous les marginaux que le « libéralisme avancé » a jusqu’à présent tolérés.

SPONTANEITE

II y a, heureusement, d’autres éventualités. Comme le montre Roger Pannequin dans ce numéro, d’autres formes d’associations peuvent naître ou renaître aujourd’hui. S’il faut se garder des utopies du siècle dernier, qui auraient engendré des systèmes parfaitement totalitaires, comment ne pas souhaiter que le mouvement ouvrier retrouve les traditions de lutte et d’organisation qui étaient les siennes avant le triomphe des bureaucraties bolcheviques ou réformistes ? De même, les organisations spontanées qui se sont créées après mai 1968 témoignent d’une volonté de participer différemment à la vie publique.

Mais la spontanéité ne suffit pas. Partis politiques et pouvoirs publics s’entendent à merveille pour récupérer ou détruire tout ce qui se crée contre eux ou en dehors d’eux. Anne Gaillard quitte la radio, parce que la défense des consommateurs gène de puissants intérêts. Les ouvriers de Lip continuent de se battre dans l’indifférence des syndicats — quand il ne s’agit pas d’hostilité. Et l’écologie est devenue la proie des partis de droite et de gauche… Mais comment un pouvoir prisonnier des partis pourrait-il instituer un nouveau dialogue avec les citoyens, arbitrer entre les intérêts qu’ils défendent, accueillir des revendications qui ne sont pas formulées par les politiciens professionnels ? C’est dire que la participation des Français à la vie politique restera illusoire tant que la question du pouvoir n’aura pas été résolue.

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Editorial du numéro 271 de « Royaliste » – 18 mai 1978

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