La Revue des deux mondes a publié en octobre les réflexions d’historiens et d’écrivains sur la question de la monarchie (1). L’ensemble des contributions, remarquablement pensées, met en évidence un changement dans les représentations de la monarchie royale, passée et présente.
Il n’y a jamais eu « deux corps du roi » dans la monarchie française mais Vladimir Jankélévitch nous a fait reconnaitre deux formes de nostalgie qui peuvent aussi affecter les odyssées politiques. La « nostalgie close » est très répandue chez les royalistes, qui désirent le retour du Roi comme sauveur et restaurateur des anciennes valeurs et traditions. Il y a aussi la « nostalgie ouverte » qui est au sens premier le mal du retour (nostos), le désappointement provoqué par les difficultés et les drames qui assaillent le prince devenu roi.
Ceux qui craignent d’éprouver une déception se réfugient dans l’idée pure d’une monarchie préservée de toute contamination politique et cultivent le regret de nos bons rois du temps jadis. Ils glorifient l’irréversible et ne retiennent de l’histoire que le bon côté des choses. Les historiens conviés par la Revue des deux mondes n’éprouvent pas cette nostalgie. Emmanuel Le Roy Ladurie et Jean-Christian Petitfils évoquent des rois qui sont évidemment les fils de leur époque, toujours confrontés à la violence de l’histoire et sans grands moyens de pouvoir même lorsqu’ils se sont dits « absolus ». Ce que nous pouvons retenir des succès et des échecs, quelles que soient par ailleurs nos opinions, c’est la construction de l’Etat, la formation territoriale du royaume et plus tard l’installation du régime parlementaire. La monarchie entre dans la définition de la nation française, cela ne fait plus aucun doute, sauf dans l’esprit des nostalgiques d’un jacobinisme tout aussi fantasmé que le prétendu légitimisme.
Quant au corpus idéologique qui inspire la monarchie royale, Jacques de Saint Victor explique savamment que « la pensée républicaine, c’est-à-dire celle de la res publica, n’est pas nécessairement le contraire de la forme monarchique du pouvoir. » Il existe, dans la fidélité à la pensée aristotélicienne, une tradition républicaine médiévale qui commence à inspirer le gouvernement royal mais qui s’efface progressivement devant les nécessités de la construction de l’Etat menacé par l’ennemi extérieur puis confronté à la guerre civile. Nous avons connu la « monarchie républicaine des Modernes », celle du général de Gaulle et Jacques de Saint Victor avance la thèse très stimulante selon laquelle le Général « s’inscrit parfaitement dans cette tradition libérale-jacobine (oxymore qui ne paraîtra paradoxal qu’à ceux ignorant la tradition française du « libéralisme d’Etat » à la Turgot) d’hostilité aux « castes » et, de fait, sa « monarchie républicaine » tente, comme l’Etat jacobin après l’Etat royal, d’être une arme contre le triomphe des forces de la prédation (féodalisme ou, ultérieurement, capitalisme corporatif). »
Les royalistes ne devraient pas craindre la « nostalgie ouverte ». Dans notre Europe comme ailleurs sous d’autres formes, la monarchie royale est toujours déjà-là. Professeur de philosophie politique, Philippe Raynaud étudie la monarchie britannique, dont l’histoire est encore moins poétique que la nôtre, et qui a été exposée avec Diana Spencer au risque d’un basculement de la royauté, très populaire, dans la pipolisation. Les dernières années de Juan Carlos n’ont pas été brillantes et son fils est confronté à une conjonction de crises internes qui seront très difficile à surmonter. La monarchie n’est pas une utopie mais un système institué, aujourd’hui dans sa forme démocratique et parlementaire – un système qui s’incarne dans une personne revêtue d’une sacralité, selon la définition que Régis Debray donne du sacré dans ce même numéro de la Revue des deux mondes.
Est-il possible de ré-instituer en France cette monarchie royale qui, ailleurs en Europe, résiste aux épreuves du temps ? Sébastien Lapaque reprend la question de l’incomplétude démocratique exhumée par Emmanuel Macron et s’inspire de Maurice Clavel pour dire que la monarchie royale est nécessaire et possible. Les royalistes de l’extrême droite, maurrassienne ou non, pourraient retarder par leurs caricatures la mise en œuvre de ce projet mais les Français se souviendront, grâce à François-Marin Fleutot, que les « royalistes du refus » ont bien servi la France dans la Résistance. Hors des pesanteurs sociologiques du milieu royaliste et de ses nostalgies, ils ont ouvert un chemin qui a été prolongé par les royalistes gaulliens après 1958 et, pour certains, après 1981.
Il n’en reste pas moins que Jean-Christian Petitfils, Emmanuel Le Roy Ladurie, Philippe Raynaud et Jacques de Saint Victor nous renvoient à la nostalgie close. Il ne s’agit pas chez eux d’un rejet de type mélenchonien mais d’un constat fondé sur des arguments qui ne manquent pas de pertinence : il y a le mouvement de l’histoire, le travail de la modernité, les obstacles psychologiques et ceux qui relèvent du symbolique. Ces raisonnements n’étaient pas moins fondés dans l’Espagne de Franco et ils me semblent moins impressionnants que les difficultés auxquelles sont confrontés les partisans d’une monarchie démocratique et parlementaire. Difficultés immédiates, qui tiennent à un manque de présence incarnée, au manque de paroles et d’actes qui permettraient d’ouvrir une nouvelle voie – entre la « gouvernance » molle et l’autoritarisme, entre l’abdication européiste et le nationalisme xénophobe, entre l’étatisme et les féodalités financières ou décentralisées, entre le « trop de sacré » et le « pas assez de sacré » selon le vœu de Régis Debray.
L’impossible n’est pas l’irréversible ni l’irrémédiable mais ce mythe que dénonce Vladimir Jankélévitch : « le mythe de l’impossible n’est qu’une démission préalable de la volonté, un refus de vouloir, une malveillance défaitiste… ».
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(1) Revue des deux mondes, octobre 2016 : « La nostalgie du roi ».
Article publié dans le numéro 1108 de « Royaliste » – 2016
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