Quelle stratégie politique ?

Oct 5, 2009 | Partis politiques, intelligentsia, médias

 

Commençons par écarter tous les petits événements politiques qui font un énorme bruit : le dérapage verbal de Brice Hortefeux, la nouvelle tactique de Ségolène Royal, l’opinion de Manuel Valls, les provocations de tel ou tel hiérarque sarkozien… De tels faits sont significatifs, il n’est pas inutile de les commenter mais ils devraient être inscrits à un rang inférieur dans la hiérarchie des urgences. Pas celle des médias, qui obéissent à leur propre logique, mais celle d’une opposition qui aurait la volonté de prendre le pouvoir pour changer en profondeur le cours des choses.

Nous faisons partie de cette opposition, nous y agissons en solitaires faute de pouvoir renouer une alliance sur des projets communs. Pour le moment, nous sommes contraints à l’extrême réserve. A droite, pas d’organisation gaulliste crédible, effectivement rassembleuse dans sa volonté de rompre totalement avec l’oligarchie. A gauche, des partis obsédés par la tactique et qui piétinent faute de pouvoir trouver un fédérateur ou parce qu’ils ne veulent pas en entendre parler.

Que faire ? Rappeler, avec obstination, que la victoire ne s’obtient pas sans une méthode rigoureuse, mise au service d’un projet clairement explicité. Ce n’est pas très compliqué : la crise mondiale clarifie brutalement les enjeux. Mais il faut que les opposants, qui ne constituent pas encore une Opposition, commencent par opérer en eux une révolution intellectuelle : renversement des valeurs, retour aux idées fondatrices, bouleversement des priorités militantes, rupture avec les détestables habitudes prises depuis les années quatre-vingt.

Nous avons appelé la gauche à un réexamen de son passé – pour qu’elle renonce à l’arrogance. Nous souhaiterions que les gaullistes se demandent si le sectarisme et le conservatisme social sont dans la tradition dont ils se réclament. De manière plus générale, nous pensons qu’une opposition efficace doit nécessairement s’appuyer sur une tradition politique assumée (le socialisme, le gaullisme, le communisme) et tenir pour essentielle l’étude en commun en vue de comprendre la société française, la crise économique, les rapports de force internationaux.

Il faut pour cela renouer avec les chercheurs et prendre le temps de travailler en réduisant le nombre des prestations télévisées – la plupart sont inutiles – et en renonçant aux mille et une formes de la connivence qui paralysent l’esprit critique et lient les mains. Le diable de la trahison se cache dans les gestes infimes et les menus détails (1). L’opposition n’est pas un dîner de gala. C’est en sacrifiant les mondanités qu’on pourra retrouver une démarche politique normale – pensée, projet, programme, tactique, stratégie – fruit d’un travail collectif alors que les dirigeants de gauche se délectent dans la tactique à très court terme et la promotion personnelle.

Quant à la stratégie, il est un point décisif souligné par Jacques Sapir (2) au lendemain de l’élection de 2007 : il ne sert à rien de protester, si l’on ne se déclare pas capable de réaliser rapidement ce que le pouvoir établi promet sans jamais tenir. La ruse de Nicolas Sarkozy, c’est de lire des homélies de style gaulliste et keynésien, qui répondent aux aspirations de la majorité des Français : le retour de l’Etat, la malfaisance du capitalisme financier, l’Europe qui protège, la fidélité à l’idéal de la Résistance… Nul n’ignore que le supposé président fait le contraire de ce qu’il dit. Mais il est vain de pointer l’adhésion intéressée à l’ultralibéralisme et l’alignement sur les Etats-Unis si on n’est pas capable de prendre au mot Nicolas Sarkozy, de réaliser ce qu’il a justifié dans ses discours. La financiarisation est néfaste ? Nationalisons les banques ! Les délocalisations sont condamnables ? Protégeons l’économie européenne ! La France  est une grande puissance ? Elle doit affirmer son indépendance à l’égard des Etats-Unis en retirant ses soldats d’Afghanistan !

Le drame, c’est que l’opposition se refuse encore à relever le moindre défi.

***

(1) C’est également vrai en politique étrangère : les embrassades lors des sommets internationaux signifient que se rencontrent les membres d’un club très fermé qui fonctionne selon la règle du consensus – non de la confrontation nécessaire. Imagine-t-on le général de Gaulle faisant la bise au président des Etats-Unis d’Amérique ?

(2) Royaliste n° 904

Editorial du numéro 954 de « Royaliste » – 5 octobre 2009

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