Quinquennat : Non à la destruction

Nov 18, 1991 | Res Publica

 

Royalistes, nous voulons couronner la démocratie dans sa double dimension : donner à nos institutions représentatives leur clef de voûte symbolique et leur point d’équilibre pratique ; assurer, pour la société tout entière, les conditions premières de son projet de Justice et de liberté.

Encore faut-Il que l’édifice constitutionnel ne soit pas détruit, sous prétexte qu’il n’est pas achevé et qu’il paraît fragile en certains points de son architecture. Or telle est bien la logique absurde qui caractérise des plans de réforme constitutionnelle vieux de vingt ou trente ans mais présentés de temps à autre à l’opinion publique comme des initiatives neuves et salvatrices. A droite comme à gauche, quand on a du vague à l’âme et rien de particulier à dire tout en voulant paraître moderne, on ressort des cartons l’idée d’une réduction de la durée du mandat présidentiel, ou celle d’une « 6è République » qui imiterait peu ou prou le modèle américain. Double illusion, particulièrement tenace, dont il faut dénoncer une fois de plus les conséquences catastrophiques.

CINQ FOIS NON

Aux séductions perverses du quinquennat (la coïncidence, non assurée, de la majorité parlementaire et de la majorité présidentielle, la moindre « usure du pouvoir » toujours soulignée par ceux qui n’y sont pas) nous opposons cinq raisons majeures que j’adressais déjà à Laurent Fabius lorsqu’il se déclara partisan de cette réforme en 1986 :

– Le quinquennat enlèverait au pouvoir son indépendance nécessaire. Elu en même temps que l’Assemblée, le chef de l’Etat serait plus que jamais le chef d’un parti, et ne pourrait plus espérer se libérer de lui. C’est comme si, outre-Manche, le chef du parti vainqueur devenait, pour quelques années, roi ou reine d’Angleterre. Chez nous, la fonction présidentielle se trouverait réduite et bientôt détruite, le Président devenant une sorte de super-premier ministre.

– Le quinquennat contredirait le souci de l’arbitrage, et par conséquent l’exigence de Justice. Simple chef de parti, le président quinquennal ferait exclusivement la politique de ce parti et de sa clientèle, sans avoir le temps, ni la possibilité, de se poser la question du bien commun.

– Le quinquennat nierait le principe d’unité. Chef de parti et le demeurant, le président serait plus que jamais l’élu des uns contre les autres, incapable de sortir de la logique de l’affrontement tant le moment de sa réélection, ou de sa succession, serait proche.

– Le quinquennat détruirait la continuité, déjà insuffisante, dont nous disposons. Sept années sont peu de choses pour mener à bien une politique. La réduction du mandat interdirait toute mise en œuvre d’un projet et inciterait à une gestion sommaire, accompagnée d’une démagogie permanente.

– Le quinquennat ruinerait, enfin, toute idée de légitimité. Confondue avec les législatives, l’élection présidentielle perdrait sa spécificité, et le Président son statut particulier. Privé de son autorité propre, le chef de l’Etat redeviendrait un personnage inconsistant, sans prestige à l’Intérieur comme à l’extérieur du pays.

Le quinquennat effacerait donc tous les principes positifs de la 5ème République, sans même favoriser des relations plus harmonieuses entre les pouvoirs. D’où l’idée, à nouveau lancée par Simone Veil, de supprimer les contradictions au sein de l’exécutif (entre le Président et le Premier ministre) et de restaurer la fonction parlementaire en séparant strictement les pouvoirs : l’Assemblée ne pourrait plus être dissoute, et le gouvernement ne serait plus responsable devant le Parlement. Là encore, il s’agit d’une fausse bonne idée, contraire à la raison politique comme à notre expérience constitutionnelle.

L’AMERIQUE ?

Ceux qui rêvent d’importer la constitution des États-Unis en invoquant sa réussite négligent les données spécifiques de la politique américaine : d’une part la référence religieuse sur laquelle est fondée la démocratie en Amérique (qu’on relise Tocqueville), d’autre part le prestige et le rôle personnel du président des États-Unis, plus décisifs que le dispositif constitutionnel, enfin la structure bipartisane et l’absence de débat idéologique prononcé. Comme la France est un pays laïc, comme la multiplicité des partis lui est consubstantielle, comme les luttes politiques ont toujours, peu ou prou, l’allure d’une guerre de religion, le « régime présidentiel » ne pourrait avoir d’existence durable.

Ceux qui préconisent cette solution oublient en outre qu’elle a été appliquée par deux fois dans notre histoire (Constitution de l’An III et Constitution de 1848) et que, par deux fois, le conflit inévitable entre le législatif et l’exécutif a trouvé sa conclusion dans le coup d’Etat – celui du 18 Brumaire puis celui du Deux-Décembre. Veut-on, à nouveau, créer les conditions de conflits qui ne pourraient être résolus autrement que par la force ? Tels qu’ils sont aujourd’hui présentés, les projets de réforme constitutionnelle ne sont que des opérations de diversion menées par des apprentis-sorciers. C’est sur le fondement gaullien, non sur un terrain ravagé, que la révolution institutionnelle peut continuer de s’accomplir.

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Editorial du numéro 567 de “Royaliste” – 18 novembre 1991

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