A droite, au centre, à gauche, les responsables politiques expriment de temps à autre des projets de réforme de la Constitution. Sans doute ne sont-ils pas dénués de tout fondement : pour notre part, nous avons souvent souligné l’ambiguïté de la fonction présidentielle, qui oblige le chef de l’Etat à répondre à la double contrainte de l’arbitrage et de l’engagement, et la rivalité entre le Président et le Premier ministre qui nuit à la clarté et à la cohérence de l’action du « pouvoir exécutif ». Existent donc de vraies questions. Que valent les réponses ?
La dernière suggestion en date consiste à supprimer le poste de Premier ministre, afin de régler définitivement l’opposition latente entre l’Elysée et Matignon. Faiblement étayée, cette solution paraît illusoire. Sans premier ministre, le gouvernement se trouverait privé d’un coordinateur nécessaire, et la cohérence de son action serait rapidement compromise. Dès lors, le chef de l’Etat se verrait contraint de s’impliquer de manière directe dans le travail du gouvernement et les arbitrages techniques rendus à ce niveau se feraient au détriment de la fonction arbitrale qui lui est dévolue par rapport à l’ensemble de la nation. La solution avancée renforcerait donc l’ambiguïté qu’elle vise à faire disparaître puisque le chef de l’Etat serait à la fois Président-arbitre en droit et premier ministre de fait.
QUINQUENNAT
Un autre projet, en forme de serpent de mer, concerne la réduction de la durée du mandat présidentiel qui permettrait, assure-ton, d’écarter les périodes de « cohabitation » par la concordance entre les élections législatives et l’élection du chef de l’Etat. C’est là un pari qui risque d’être perdu, car les électeurs ont pris l’excellente habitude d’établir une distinction nette entre la magistrature suprême et la représentation nationale. Mais surtout, le quinquennat détruirait tous les aspects positifs de notre Constitution :
Il priverait le pouvoir de son indépendance nécessaire. Porté au pouvoir par un parti, le Président n’aurait plus le temps ni la force de se libérer de celui-ci. La fonction présidentielle s’est trouverait réduite et peut-être détruite, le chef de l’Etat devenant une sorte de super-Premier ministre – toujours confronté à la rivalité du chef du gouvernement ;
Il contredirait le souci de l’arbitrage, qui est la condition première de la justice sociale. Plus proche qu’aujourd’hui du parti qui l’a porté au pouvoir, très vite préoccupé par sa réélection, le chef de l’Etat quinquennal succomberait plus facilement aux séductions du clientélisme et de la politique partisane ;
Il nierait le principe d’unité puisque le président de la République serait plus que jamais l’élu des uns contre les autres, puisqu’il n’aurait plus la force ni l’envie de situer le pouvoir politique au-delà des logiques d’affrontement ;
Il détruirait la continuité, déjà insuffisante, dont nous disposons : l’expérience montre qu’il ne suffit pas d’un septennat pour accomplir un projet. Le mandat de cinq ans inciterait à une gestion au jour le jour, accompagnée d’une démagogie permanente ;
Il ruinerait toute idée de légitimité. Confondue avec les élections législatives, l’élection présidentielle perdrait peu à peu sa spécificité et la symbolique qui lui est propre. Nul doute que l’autorité du chef de l’Etat s’en trouverait diminuée et que, peu à peu, la présidence de la République redeviendrait inconsistante, dans notre pays et aux yeux de l’étranger.
Reste la possibilité d’instituer un régime présidentiel sur le modèle américain, qui séduit nombre de politistes et de juristes depuis des décennies. Il s’agirait de mieux garantir la continuité de l’Etat par l’instauration d’une vice-présidence, d’éviter les conflits entre le législatif et l’exécutif par la séparation des pouvoirs (pas de droit de dissolution, pas de responsabilité du Gouvernement devant le Parlement) et de parvenir à un meilleur équilibre en renforçant les droits du Parlement sans faire du chef de l’Etat une potiche. Ce beau schéma se heurte cependant à deux objections majeures :
D’une part, la transplantation d’un régime politique est une opération délicate qui néglige trop souvent la coutume institutionnelle du pays imité, la symbolique qui lui est propre – ainsi le fondement religieux du système américain – et ses structures politiques, en l’occurrence le système bipartisan.
Il faut d’autre part se souvenir que la France a fait par deux fois l’expérience d’un régime de séparation des pouvoirs, sous le Directoire et sous la IIème République. Comme les Constitutions de l’An III et de 1848 ne prévoyaient aucun mode de résolution des conflits entre le législatif et l’exécutif, le Coup d’Etat (18 Brumaire, Deux Décembre) représentait la seule issue possible.
Alors ? Alors comme nous l’avons dit cent fois, mieux vaut prolonger et accomplir que retrancher ou disjoindre : en matière d’arbitrage, de continuité, d’indépendance de l’Etat et d’équilibre entre les pouvoirs, les monarchies européennes d’aujourd’hui donnent des exemples à méditer, si l’on veut sortir des ambiguïtés et des contradictions qui affectent notre système politique.
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Editorial du numéro 548 de « Royaliste » – 17 décembre 1990
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