Déjà vieux serpent de mer, la question du quinquennat a été remise à l’ordre du jour par Valéry Giscard d’Estaing, provoquant l’embarras que l’on sait dans la majorité. Au-delà des coups médiatiques et des manœuvres politiciennes, il importe d’examiner une nouvelle fois cette idée, apparemment séduisante, mais qui conduirait à ruiner nos acquis institutionnels – voire à provoquer un changement de Constitution.
Tantôt à droite, tantôt à gauche, des voix autorisées s’élèvent périodiquement pour réclamer une réduction de la durée du mandat présidentiel. Les uns évoquent benoîtement l’usure du pouvoir en songeant à la rotation plus rapide de la fonction, les autres soulignent l’avantage d’une telle réforme quant à la stabilité du pouvoir : l’élection simultanée du Président de la République et de l’Assemblée nationale éviterait les aléas de la cohabitation entre des pouvoirs aux convictions contraires. Ainsi posé, le débat pêche par son simplisme. Comme l’a très justement expliqué Olivier Duhamel dans un récent article (1), la réduction du mandat présidentiel peut prendre plusieurs formes qu’il convient d’examiner avant de porter un jugement sur le principe même de cette réforme.
LES QUINQUENNATS
Actuellement, deux types de quinquennat sont proposés, explicitement ou non, l’un par Valéry Giscard d’Estaing, l’autre, aussi surprenant que cela puisse paraître, par Raymond Barre.
– Le quinquennat giscardien se présente comme une réforme très simple : il suffit de remplacer dans la Constitution le chiffre sept par le chiffre cinq. Pernicieux sur le fond, cet aménagement ne résout en aucune manière les risques d’affrontement entre les pouvoirs exécutif et législatif puisque l’élection du Président et celle des députés demeurent décalées dans le temps. Elu pour cinq ans en 1988, un Président de gauche aurait affaire à une majorité parlementaire de droite, et un Président de droite pourrait, avant la fin du quinquennat (1993) être confronté à une majorité de gauche à partir de 1991. La réforme giscardienne est donc dépourvue d’intérêt.
– Le quinquennat barriste est implicite et conditionnel. R. Barre respecte la lettre constitutionnelle puisqu’il est hostile à une révision du texte, mais il porte gravement atteinte à l’esprit de la Constitution et prétend introduire une pratique nouvelle qui instaurerait, pour le Président de la République, un rythme quinquennal. Le député du Rhône estime en effet que les élections législatives engagent le Président et doivent l’amener, en cas de défaite de ses partisans, à se démettre de ses fonctions. Comme Raymond Barre annonce qu’il dissoudrait l’Assemblée s’il était élu, comme d’autre part il serait logiquement amené à démissionner en cas de défaite de sa majorité parlementaire au terme de la législature, c’est bien un mandat quinquennal qu’il se propose implicitement d’exercer. Il y a là une perversion de la fonction présidentielle et, du point de vue de la tradition gaullienne, un déni de la légitimité du chef de l’Etat : dans la pratique barriste, celui-ci dépendrait des modifications de la représentation nationale, aujourd’hui clairement distinguée du suffrage qui « consacre » le président de la République.
A partir de ces deux propositions, l’une de droit, l’autre de fait, d’autres modalités peuvent être envisagées, qui rendraient plus cohérent le système quinquennal. On pourrait, par exemple, dans le prolongement de la perspective barriste, inscrire dans la Constitution la coïncidence des élections présidentielles et législatives afin de réduire le risque de conflit entre les pouvoirs (2). Mais la stabilité qu’on obtiendrait ainsi serait hypothétique (les Français commencent à distinguer très clairement la fonction présidentielle de la fonction représentative) et elle serait détruite en cas de décès ou de démission du chef de l’Etat en cours de mandat. D’où l’idée d’une réforme plus profonde qui lierait, toujours dans la logique barriste, l’élection du Président et la dissolution de l’Assemblée : le Président dissoudrait après son élection, il démissionnerait après avoir prononcé, en cours de mandat, la dissolution de l’Assemblée. Dans cette hypothèse, la synchronisation serait assurée (pas nécessairement la convergence politique) mais cet avantage technique ne suffit pas à emporter l’adhésion. Comme nous l’avons déjà expliqué à plusieurs reprises, des objections fondamentales s’opposent au principe même de la réduction de la durée du mandat présidentiel.
CINQ FOIS NON !
Le quinquennat, sous quelque forme qu’il se présente, ruinerait les principes majeurs de la Constitution gaullienne qui donnent à l’Etat ses conditions minimales d’existence et son efficacité propre :
1) Avec le quinquennat, la relative indépendance du chef de l’Etat disparaît. Déjà trop engagé dans la vie partisane, le Président de la République serait plus que jamais le chef de la coalition majoritaire et du parti dominant, sans qu’il ait le temps, sans qu’il voit la nécessité de prendre ses distances par rapport à ses partisans. De facto, le rôle du chef de l’Etat se confondrait avec celui du Premier ministre, et cette confusion serait grosse de nouveaux conflits.
2) Avec le quinquennat, le souci de l’arbitrage s’efface. Privé de sa liberté de conception et d’action, redevenu simple chef de parti, le Président n’aurait ni la volonté ni les moyens d’envisager le bien commun et de décider selon cette exigence. Déjà difficile dans le cadre institutionnel actuel, la tâche du Président deviendrait impossible car la logique de la Constitution ne pourrait plus le porter au-delà de lui-même.
3) Le quinquennat serait contradictoire avec le principe d’unité. Plus encore qu’aujourd’hui, le Président serait l’élu des uns contre les autres et il n’y aurait plus le moindre espoir de le voir dépasser la logique de l’affrontement puisqu’il lui faudrait, encore plus vite que dans le système actuel, envisager et préparer le moment de sa réélection. De plus le quinquennat mettrait en cause la continuité, déjà insuffisante, dont le chef de l’Etat dispose. Alors que toute politique vraie s’inscrit dans le long terme, alors que beaucoup de projets, diplomatiques, économiques, doivent pour réussir être poursuivis sur une ou plusieurs décennies, les cinq années dont disposerait le chef de l’Etat le contraindraient à une gestion hâtive, aggravée d’une démagogie permanente.
5) Le quinquennat est enfin contraire à l’idée même d’efficacité, dont notre époque est si férue. Il faut deux ans au chef de l’Etat pour apprendre son métier, et pendant les deux dernières années de son mandat il ne peut, à quelques exceptions près, s’empêcher de préparer sa réélection. Dans le cadre étriqué du quinquennat, il lui resterait un an pour diriger effectivement et efficacement les affaires du pays.
UN REGIME PRESIDENTIEL ?
Pour éviter les difficultés inhérentes au système quinquennal, pour dépasser la dialectique néfaste entre le chef de l’Etat, l’Assemblée nationale et le Premier ministre, certains proposent une refonte complète de la Constitution dans le sens présidentiel inspiré par le fameux modèle américain. Le Président et l’Assemblée seraient élus pour cinq ans, mais la prérogative présidentielle en matière de dissolution disparaîtrait et le gouvernement ne serait plus responsable devant l’Assemblée nationale. Le régime présidentiel fonctionne convenablement aux Etats-Unis pour des raisons qui tiennent au respect quasi-religieux qui entoure la Constitution, à la longue pratique coutumière des relations entre les pouvoirs et à un système politique organisé autour de deux partis très différents des nôtres. Importer le « modèle » américain sans tenir compte des données politiques propres à notre pays serait une erreur grave, dont les conséquences pourraient être désastreuses pour la démocratie. Rappelons que la France a connu deux régimes de stricte séparation des pouvoirs. Le premier fut institué par la Constitution de l’an III qui créait un Directoire et deux assemblées (Conseil des Anciens. Conseil des Cinq-Cents). Comme l’exécutif et le législatif ne pouvaient agir l’un sur l’autre, comme il n’y avait aucune solution légale aux différends, la pratique constitutionnelle fut marquée par le conflit permanent et par quatre tentatives de coup d’Etat, avant que Bonaparte ne s’empare du pouvoir. L’expérience fut renouvelée en 1848 : pouvoir exécutif incarné par un Président de la République élu au suffrage universel pour quatre ans, avec mandat non immédiatement renouvelable ; assemblée législative unique qui ne peut renverser le gouvernement et que le Président n’a pas le droit de dissoudre. Cette rigidité rendait le coup d’Etat inévitable. Louis Bonaparte le réalisa au bout de trois ans seulement.
Les conséquences de la séparation stricte des pouvoirs ne seraient pas différentes aujourd’hui. Imagine-t-on François Mitterrand reconduisant le gouvernement Fabius après les élections du 16 mars ? Le conflit latent qui existe en ce moment entre la majorité parlementaire et l’Elysée provoquerait des conflits brutaux sans qu’aucun mode constitutionnel de résolution soit possible. Dans notre pays, le régime présidentiel à l’américaine provoquerait immanquablement, comme lors des deux précédentes expériences, un coup d’Etat.
QUE FAIRE ?
Le refus du quinquennat ne conduit pas à la défense du statu quo. A l’encontre de MM. Giscard d’Estaing et Fabius, nous avons souvent dit que le septennat était un cadre trop étroit pour une action politique. La pratique constitutionnelle et la vie de la nation sont d’autre part affectées par la rivalité entre le chef de l’Etat et le Premier ministre, que la période de coexistence rend manifeste mais qui lui préexistait. Se pose aussi la question du rôle du Parlement, d’autant plus réduit que le gouvernement est pressé de mettre son programme en œuvre. Au lieu d’instituer un quinquennat qui détruirait l’œuvre constitutionnelle du général de Gaulle, il est nécessaire de prolonger et de faire aboutir celle-ci, selon la logique monarchique de nos institutions. Mais ceci est une autre histoire … (3)
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(1) Le Monde, 14 février 1987
(2) Telle est la proposition du professeur Jacques Robert ; cf. « Le Débat » n°43 (janvier-mars 1987) qui publie un très intéressant dossier sur la Constitution avec des contributions de Pierre Avril, Olivier Duhamel, Maurice Duverger, Edgar Faure, François Luchaire …
(3) cf. le récit de politique-fiction publié par B. Renouvin dans « Le Matin » du 21 janvier et reproduit dans le numéro 33 du Lys Rouge.
Article publié dans le numéro 466 de « Royaliste » – 4 mars 1987
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