En cas d’événement majeur, les grands médias fonctionnent sur deux temps : d’abord déverser des tonnes de propagande bien-pensante, puis laisser poindre un soupçon de regret. Les directeurs de l’opinion n’informent plus – sauf sur leurs propres états d’âme.

Une fois de plus, distinguons soigneusement les journalistes qui font leur métier et les directeurs de l’opinion qui règnent sur les deux principales chaînes, sur France Inter, Le Monde et Libération. Les premiers s’efforcent d’informer leur public, alors que les seconds informent le public de leurs propres jugements, réprobations et condamnations.. Ces maîtres de morale pratiquent une vertu à deux temps :

  • indignation vertueuse des défenseurs du Bien face au Mal ;
  • vertueux repentir quant aux excès commis par vertu.

Quand ils étaient jeunes militants, ces futurs maîtres-censeurs chantèrent les louanges de Staline et Mao, puis jurèrent qu’on ne les y reprendrait plus. Devenus grands professionnels libérés des utopies, ces vertueux s’indignèrent du massacre de Timisoara puis confessèrent leurs erreurs avant de répandre mille sornettes sur la guerre du Golfe. Là encore, on nous promis de vérifier l’information. On se déchaîna sur les atrocités bosno-serbes, en taisant celles perpétrées par les bosno-musulmans et par les bosno-croates, avant de reconnaître, à bas bruit, qu’on y était allé un peu fort. Mais on recommença avec la promotion des kosovars de l’U.C.K  – non sans reconnaître dans des revues à tirage modeste que tout ce tintamarre avait été quelque peu excessif.

Chaque fois, les pécheurs se demandèrent miséricorde et décidèrent de s’absoudre : l’opinion, prise à témoin, est toujours censée pardonner les excès de zèle. Pourquoi ? Certains médiacrates affirment que « les gens sont intelligents » ; d’autres supposent que le public est bête à manger du foin. Tous se moquent du monde puisqu’ils ne sont ni élus ni payés par « les gens ».

Cette bienheureuse irresponsabilité nous a permis de vivre coup sur coup deux nouveaux cycles de dégoulinades et de repentance.

Tout l’hiver, toute l’information télévisée fut focalisée sur l’insécurité. Impossible de formuler une nuance, d’inciter à la précaution en matière statistique et de s’interroger sur l’utilisation répétitive de certaines images. La thématique sécuritaire ayant profité à Jean-Marie Le Pen nous avons appris en lisant la presse spécialisée que certains journalistes s’interrogeaient sur leurs propres responsabilités. Informations données sans hiérarchie, empilement de faits divers, ton anxiogène : avec des faits véridiques (personne ne nie la violence urbaine) on a créé un climat de peur généralisée.

Au lendemain du premier tour, l’insécurité a disparu des écrans. Une fusillade dans une salle d’urgence a été expédiée en deux minutes et la série des agressions quotidiennes a été sacrifiée au profit de la propagande contre le Front national.

Oubliée la déontologie ! On vit les gens de médias appeler aux manifestations, se transformer en propagandistes de Jacques Chirac et fustiger le Front national à grands coups de reportages à la partialité revendiquée, de commentaires agressifs et de chantage à la guerre civile.

Comme pour Jorg Haider, chacun tenait à donner la preuve de sa conviction démocratique, de sa vigilance antifasciste, de sa haine de Le Pen et du lepénisme. La preuve à qui ? A soi-même ? A ses collègues ? A ses patrons ? Pas au public en tous cas, qui a été une fois de plus submergé de bonne conscience, accablé d’objurgations et mis en demeure de bien voter – alors que les citoyens attendent de la télévision et de la grande presse des informations nombreuses et complètes. Bien entendu, les grandes consciences médiatiques n’ont pas pris garde qu’elles exaspéraient des millions d’électeurs de Jean-Marie Le Pen, implicitement considérés comme des « beaufs » et explicitement dénoncés comme racistes – ce qui ajoutait l’offense aux misères et aux humiliations de toute nature qu’engendre l’ultralibéralisme.

Dans quelques semaines, nos grands professionnels des médias reconnaîtront sans doute qu’ils y sont allés un peu fort et promettront de faire attention la prochaine fois. Serment d’ivrogne !

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Article publié dans le numéro 794 de « Royaliste » – 13 mai 2002

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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