De temps à autre, il est nécessaire de quitter le terrain de l’actualité pour expliquer, surtout à l’intention de nos nouveaux lecteurs, ce que signifie fondamentalement le titre de ce journal et le nom du mouvement qui l’a choisi comme moyen d’expression. D’où cette brève synthèse, par laquelle notre manière de penser et d’agir en politique se trouvera éclairée.

Lire « Royaliste », être adhérent de la Nouvelle Action Royaliste, n’est ni un archaïsme, ni une mode. C’est s’inscrire librement dans une longue tradition historique, et participer à une passionnante aventure intellectuelle et politique puisqu’il s’agit de montrer l’actualité du projet capétien, aujourd’hui millénaire, et de faire en sorte qu’il s’incarne dans une monarchie démocratique.

Les demeures du Roi

Les quelques lignes qui précèdent paraissent toutes simples, presque évidentes aujourd’hui. Pour qu’elles puissent être écrites en ces termes il a cependant fallu un long combat pour arracher l’idée royaliste à sa gangue conservatrice ou franchement réactionnaire. Longtemps en effet – et il en reste encore des traces dans l’opinion publique – le royalisme a été regardé, non sans raisons, comme un mouvement d’extrême droite. De fait, l’idée royaliste s’est exprimée depuis deux siècles à travers plusieurs traditions, plus ou moins fidèles à l’idée capétienne. Au 19ème siècle, les Ultras (ceux qui étaient « plus royalistes que le roi ») avaient conçu une doctrine autoritaire et théocratique qui desservit la monarchie restaurée en 1814. Les grands penseurs du libéralisme politique, au contraire, avaient établi et mis en pratique le principe d’une monarchie démocratique, qui commençait de prendre, après la Révolution et l’Empire, sa forme représentative et parlementaire. Vint ensuite le mouvement catholique-social, très largement royaliste, qui s’éleva contre la violence du capitalisme naissant et inventa les premières formes de protection des travailleurs et de sécurité sociale.

Il y avait eu ainsi, à la fin du siècle dernier, plusieurs traditions, plusieurs « demeures dans la maison du roi ». Apparut l’Action française, qui par souci d’efficacité, prétendit à la synthèse. Mais celle-ci devait dégénérer en un monopole idéologique par voie de récupération et d’exclusion. D’esprit Ultra, mais hostile au théocratisme, le mouvement de Charles Maurras se voulait l’héritier du catholicisme social qu’il finit par transformer en un conservatisme bienveillant, agrémenté d’une doctrine corporative parfaitement désuète. En revanche, la tradition libérale de la monarchie fut jetée aux oubliettes. L’Action française créa un système attirant par son apparente rigueur, mais qui se caractérisait par un antidémocratisme de principe : apologie du « dictateur et ro i», stratégie tendue vers le « coup de force », nationalisme théoriquement défensif mais en fait intolérant et marqué par l’antisémitisme …

D’où les trois condamnations qui la frappèrent successivement : celle de l’église catholique en 1926, qui fut levée à la veille de la guerre, celle du comte de Paris en 1937 qui lui reprochait son esprit de système et sa violence, et enfin celle de l’opinion publique après l’Occupation, en raison des terribles responsabilités et des inévitables compromissions qu’entraînait son pétainisme militant.

Une révolution royaliste

Un mouvement royaliste discrédité, des héritiers du maurrassisme qui s’enfermaient volontairement dans le culte du passé et dans des impasses politiques et qui refusaient de comprendre la pensée et l’action du comte de Paris : il fallut bien faire le bilan et en tirer les leçons. La « Nouvelle action française » naquit, au mois de mars 1971 : Pompidou était au pouvoir, le Parti socialiste n’était pas encore créé, et l’effervescence de 1968 n’était pas encore retombée … De fait, c’est bien une révolution qui eut lieu dans le royalisme et qui se traduisit quelques années plus tard par le changement de nom de notre journal et de notre mouvement. Changement hautement symbolique : nous passions de la référence à !’Action française, doctrine datée et tristement située, à l’affirmation tranquille d’un royalisme démocratique. Dans cette révolution, qu’il serait trop long de raconter, il est clair que nous avons été fortement influencés par la pensée et l’action du comte de Paris, tandis qu’un dialogue très large et très ouvert avec des personnalités de diverses traditions intellectuelles et politiques faisaient rapidement tomber nos œillères doctrinales. Parmi ceux qui comptent pour nous, ne citons que Maurice Clavel, trop tôt disparu.

Par notre réflexion, jamais solitaire, au travers des actions engagées par notre journal et notre mouvement, que cherchions-nous ? La tradition royale étant clairement incarnée et exprimée par le Prince, il nous fallait d’abord repenser le royalisme à partir d’une réflexion sur la question politique en tant que telle, sur ses modalités et sur ses limites, sans jamais perdre de vue les enjeux politiques du moment, et le mouvement de la société française. Tâche considérable, jamais terminée, poursuivie sans relâche dans « Royaliste », dans nos revues (« Cité »…) et par la publication régulière d’ouvrages de fond.

Au vu de ce travail, qui nous conduisait, qui nous conduit toujours, à interroger philosophes, anthropologues, sociologues, économistes et juristes, d’aucuns nous reprochèrent de sombrer dans l’intellectualisme. Le recul permet au contraire de constater que notre identité est née de cette recherche et de ce dialogue permanents. Nos censeurs oubliaient aussi que nous voulions, à partir de ce royalisme repensé, arracher notre tradition politique à sa vieille logique de guerre civile et la situer autrement dans le champ politique. Ce deuxième objectif n’était pas sans dangers. Nous risquions de désorienter nos lecteurs, de déconcerter les observateurs, et finalement de nous perdre dans les ambiguïtés. Tel ne fut pas le cas.

Principes

Bien sûr ceux qui faisaient de la monarchie une simple illustration de leur droitisme impénitent nous quittèrent. Et, au fil de nos engagements et de nos refus toujours étrangers aux logiques partisanes, on nous désigna, successivement ou en même temps, comme gauchistes, gaullistes, socialistes, complices des bolcheviques, ou bien encore comme une « bande armée du Capital » … La vérité, toute simple, était que nous nous voulions royalistes et que nous cherchions à. en tirer, dans l’action politique, toutes les conséquences.

Le principe d’unité nous faisait récuser l’esprit de guerre civile et l’embrigadement dans un des deux camps : il nous paraissait plus rigoureux de traiter les questions posées, sous souci des prises de positions dogmatiques de la droite et de la gauche.

 Le principe de justice contredisait trop manifestement les fausses valeurs du libéralisme économique, en d’autres termes du capitalisme sauvage, pour que nous puissions avoir de la complaisance pour ses divers représentants. Il nous conduisait aussi à dénoncer toute attitude de mépris à l’égard des travailleurs immigrés, et bien entendu toutes les formes de racisme et d’antisémitisme. D’où, sur le premier plan, notre opposition constante au giscardisme et, sur le second, notre dénonciation des thèses de la Nouvelle droite.

Le principe de liberté nous faisait adhérer sans réserves à la démocratie et aux droits de l’homme, en recherchant, dans l’ordre politique, ce qui serait en mesure de la fonder et de les garantir. Il nous conduisait aussi à une dénonciation radicale de toutes les formes de totalitarisme.

Le principe de l’indépendance nationale, enfin, nous rendait rebelles à la mythologie supranationalitaire et aux visées hégémoniques des Etats-Unis et de l’Union soviétique, face auxquelles nous réclamions une politique étrangère ferme et le renforcement de notre dissuasion nucléaire.

Précisons que nous ne nous voulions pas les définisseurs de ces principes, qui sont ceux de la monarchie capétienne. Mais nous entendions les illustrer et les approfondir, montrer leur pertinence et leur actualité. D’où l’extrême attention apportée à la pensée et à l’action du comte de Paris, qui apparaissait comme le serviteur de tous dans ses « Mémoires », qui précisait son attitude et son projet dans sa « Lettre aux Français », et élargissait encore sa réflexion dans son dernier livre – « L’Avenir dure longtemps » .D’où, en toute indépendance par rapport au Prince, notre engagement dans le débat démocratique à l’occasion de l’élection présidentielle de 1974, puis lors des élections législatives et municipales où, après plus d’un demi-siècle d’absence, des candidats royalistes se présentent régulièrement devant l’opinion. D’où notre volonté de faire de « Royaliste » et de notre mouvement un lieu de recherches et de propositions. Situés au carrefour des idées, décidés à renforcer les liens entre la vie politique et la réflexion intellectuelle, nous nous efforçons, de congrès en congrès, d’élaborer des propositions cohérentes, tant sur le plan institutionnel que dans le domaine économique et social.

Le regain monarchique

Trop brève, cette évocation ne peut rendre compte de l’ensemble de notre histoire et de nos idées. Il y’eut des crises, des déconvenues, des retards dans le développement prévu, des erreurs, sans oublier la pauvreté des moyens matériels qui nous contraint à une présence trop discrète, face aux grands et riches appareils partisans. Mais il ne sert à rien de se plaindre – et cela d’autant moins que nous observons depuis quelques années un net regain d’intérêt pour le projet monarchique, à tel point qu’on a pu parler d’une mode. Mais la mode est par définition éphémère, alors que ce courant de sympathie pour l’idée monarchique semble appelé à se développer. Outre ce que nous avons pu dire et faire, il y a à cela trois raisons majeures. D’abord l’action inlassable du comte de Paris, trop rapidement évoquée plus haut. Ensuite le rôle décisif joué par le roi Juan Carlos dans la restauration de la démocratie espagnole. Enfin l’esprit monarchique et la dynamique des institutions de la Sème République qui ont fait apparaître une monarchie élective et qui, à travers l’expérience de la cohabitation, font désirer un couronnement institutionnel par lequel serait pleinement incarnés et exprimés les principes d’unité, de continuité et d’arbitrage qui sont ceux de la monarchie capétienne.

Tels sont les principes majeurs que nous entendons faire valoir dans la campagne présidentielle, en nous engageant aux côtés de celui qui s’en ·rapproche le plus, puis lors du hi-centenaire ‘de la Révolution où nous ferons tout pour que cet évènement majeur soit enfin assumé. Comme toujours, nous serons à notre manière au cœur des événements, dans la fidélité à nous-mêmes.

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Article publié dans le numéro 489 de « Royaliste » – 17 mars 1988

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