Sarkozysme : L’Etat sans la grâce

Juil 2, 2007 | Non classé

 

Le président de la République récemment élu bénéficie d’ordinaire d’un « état de grâce ». Nicolas Sarkozy a déjà perdu son charisme de candidat. Il court, en culottes courtes, après une victoire qui est déjà loin derrière lui.

D’autres l’ont déjà dit : un chef d’Etat se promène pour se détendre ou réfléchir, seul ou avec un ami. Ainsi Charles de Gaulle à La Boisserie, Louis XI et François Mitterrand dans les rues de Paris. Nicolas Sarkozy court, sans la légèreté d’Achille, à Malte, à Bregançon, en Allemagne. Il courre à l’américaine avec ses gardes du corps, sans savoir que le but de la course, aux Etats-Unis, est la course elle-même – non le but qui vaudrait la peine qu’on s’essouffle (1). Il oublie le président Carter, qui s’effondra lors d’une course trop longue, trop rapide pour un homme plus très jeune et fatigué par les charges du pouvoir.

Nicolas Sarkozy ne fait que courir pour garder le pouvoir. Tel est l’aiguillon du quinquennat : cinq ans c’est court, il faut rester dans la course où Ségolène s’est immédiatement relancée. A droite, les concurrents possibles ne manquent pas et exploiteront à leur avantage toute baisse de rythme : Fillon, Copé, d’autres coureurs de fond, certains plus jeunes, peuvent le coiffer au poteau.

Dans ces conditions, le marathon politique devient un jeu cauchemardesque où il faut courir pour occuper toutes les positions à la fois. On croit que le nouvel élu est à l’Elysée, dans sa fonction présidentielle. Mais il n’a pas compris de quoi il retournait au juste, sinon il ne permettrait pas que les hiérarques de l’UMP le proclament urbi et orbi « patron naturel » du parti dominant : nul ne peut être juge et partie.

Il est aussi le patron de Matignon, écrase le Premier ministre sans même s’emparer de ses attributions puisqu’il négocie en personne avec les syndicats sur la réforme de l’Université, assume le projet de TVA sociale à la place des ministres directement concernés, dirige les affaires étrangères et européennes, contrôle le ministère de l’Intérieur…

L’être présidentiel est dans sa dispersion.

Cet activisme n’est plus une technique du paraître qui masquerait les contradictions politiques du personnage. Au contraire. La fébrilité de Nicolas Sarkozy révèle l’impossibilité pratique de son programme. Méprisant la monarchie gaullienne, il agit en autocrate sans se rendre compte des limites physiques et psychiques de son comportement. Il n’aura autour de lui que des politiciens courtisans et une technocratie qui n’en fera qu’à sa tête dès que le patron aura le dos tourné. L’enlisement du coureur de fond dans les marais conservateurs est une hypothèse qui devra être soigneusement examinée dans les prochains mois.

L’autre péril, pour ce coléreux, est de provoquer la colère de ceux qui ont cru aux mille et une promesses du sarkozysme. Ceux qui ont participé aux premières négociations sociales disent que les ministres chargés d’appliquer le programme du candidat n’ont rien dans leurs cartons : ils voudraient que les groupes antagonistes s’accordent sur des textes minimalistes, que les patrons soient satisfaits et que les rues restent tranquilles. D’où des reculs piteux et étonnamment rapides sur la TVA sociale et sur les réformes dans l’université. Curieusement, l’homme de la « rupture » semble vouloir s’arranger pour que rien ne bouge.

L’attitude du coureur transeuropéen est identique quant au futur traité de l’Union. Les médias ont eu beau célébrer le triomphe diplomatique de Nicolas Sarkozy, l’homme pressé a déçu tout le monde. Les ultralibéraux fustigent le retrait de la formule sur la concurrence » libre et non faussée » et les propos  protectionnistes du président français. Les adversaires du défunt « traité constitutionnel » dénoncent le maintien de la politique ultra-concurrentielle et l’absence de toute remise en cause de la BCE. Là encore, Nicolas Sarkozy paraît comme l’homme du compromis boiteux, qui se croit capable de donner symboliquement raison aux antilibéraux pour mieux leur faire accepter pratiquement les règles de la « gouvernance » sise à Bruxelles et à Francfort.

Pour l’état de grâce, c’est loupé. Reste un homme dans tous ses états.

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(1) l’article de François Verrazzane, « Nés pour courir » Cité n° 33.

 

Article publié dans le numéro 908 de « Royaliste » – 1er juillet 2007.

 

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