« Si demain la gauche… ». Le titre du livre de Gaston Deferre montre que la campagne pour les élections législatives vient de s’engager, avant même que la bataille des municipales soit terminée. Cette démocratie ne nous laisse pas de répit. Mais est-ce bien la démocratie ? On en doute quand on considère le poids de l’argent dans la campagne actuelle, et quand on voit les électeurs obligés de choisir entre les programmes si grossièrement démagogiques qu’ils sont dépourvus de sens : Chirac écologiste et d’Ornano défenseur des « petits », c’est à hurler de rire ou de colère, selon l’humeur du moment.

En comparaison, les débats sur l’école libre et sur les nationalisations paraissent plus sérieux. Pourtant, ce sont de faux débats, comme nous l’expliquons à l’intérieur de ce journal : la vieille querelle scolaire est dépassée par la remise en cause de l’école elle-même. Quant aux entreprises nationales, elles ont montré depuis trop longtemps leurs limites pour que nous puissions en attendre une quelconque libération économique et sociale.

Si demain la gauche parvient au pouvoir, la désillusion risque de succéder très vite à l’enthousiasme du soir de la victoire tel que l’imagine le maire de Marseille. La désillusion, mais aussi la crise des institutions, bien que la gauche, même communiste, ne remette plus sérieusement en cause la constitution de la 5ème République. Là est la véritable question, à laquelle Gaston Deferre tente de répondre au début de son livre.

C’est que nos institutions ont toujours fonctionné avec une coalition majoritaire à l’Assemblée nationale qui épousait étroitement (certains disaient inconditionnellement) les vues du Président de la République. Déjà, avec la fronde de Jacques Chirac, l’avenir de la coalition de droite se trouve compromis. Et nous risquons de connaitre un conflit ouvert si une majorité de gauche arrive au pouvoir en 1978.

SCÉNARIOS

Pourtant Valéry Giscard d’Estaing a indiqué qu’il n’abandonnerait pas ses fonctions et la gauche semble travailler en fonction de cette hypothèse. Vraisemblable, elle saurait résoudre la question institutionnelle qui serait alors posée. Plusieurs scénarios peuvent être en effet envisagés :

1) Si le Président n’abandonne pas ses fonctions, il restera, comme il l’a clairement annoncé, le garant des libertés. Mais comment entend-t-il garantir ces libertés ? Ira-t-il jusqu’à défendre la liberté d’entreprise, en se dressant par exemple contre tout projet de nationalisation ? Une crise serait alors ouverte entre le Président de la République et son Premier Ministre. Comme ce dernier peut fort légalement refuser de donner sa démission, une épreuve de force serait engagée qui conduirait à la dissolution de l’Assemblée, à la démission du Président ou à sa soumission.

2) Une dissolution de l’Assemblée ne résoudrait pas nécessairement le conflit car, en pareil cas, comme notre histoire électorale le montre, les électeurs prennent un malin plaisir à confirmer leur premier choix. Sans doute parce qu’ils ont le sentiment — justifié — qu’on s’est moqué d’eux. On en revient alors au premier scénario.

3) Une démission du Président de la République peut aussi bien résoudre la crise qu’aggraver la situation : si un Président de gauche est élu, on se trouve dans la situation de la République gaullienne et pompidolienne. Mais si le pays décide de renvoyer à l’Élysée un Président de droite, les conditions du conflit entre le législatif et l’exécutif sont de nouveau réunies.

4) Pour éviter ces imbroglios politico juridiques, le Président de la République peut choisir de se cantonner dans un vague arbitrage, laissant le gouvernement déterminer et conduire la politique de la nation comme le prévoit l’article 20 de la Constitution. Mais c’est alors un autre pouvoir qui nait, et une autre république : ni présidentielle, ni parlementaire, ni gaullienne, mais « gouvernementale » et plébiscitaire, comme en Grande-Bretagne où les citoyens en choisissant leurs députés désignent ipso facto le Premier Ministre. Ce changement institutionnel est concevable sans révolution ni modification de la Constitution. Est-il souhaitable ? Je ne le pense pas.

LE RÉGIME DES PARTIS

D’abord parce que cette république « gouvernementale » sera fragile : reposant sur une majorité de coalition, elle risquera d’aboutir à un régime d’Assemblée, style quatrième République, le jour où cette coalition se défera. Or nous savons combien les divergences entre communistes et socialistes sont profondes… Mais surtout parce que ce nouveau régime renforcerait la dictature des partis sur l’État :

Déjà, en son temps, le général de Gaulle n’avait pas pu empêcher la formation d’un « État-UDR ». L’appropriation de l’État par ce parti avait été encore plus nette sous la présidence de Georges Pompidou. Pire encore : après le départ de Jacques Chaban Delmas, le « Président de tous les Français » était devenu le chef de file de la droite, le défenseur du conservatisme social. L’Union de la gauche s’est faite en réaction contre cette orientation néfaste, recréant dans le pays les divisions que le général de Gaulle avait su, un instant, atténuer. Avec Giscard, la coupure est devenue encore plus nette. Le Président de la République apparaissant, de façon presque caricaturale, comme l’élu des privilégiés, comme l’incarnation de la classe possédante.

Du moins reste-t-il la possibilité, pour un autre Président de la République, de diriger les affaires de la Nation en gardant quelque distance vis-à-vis des partis et des groupes de pression. Une retraite du Président, qui verrait ses pouvoirs tomber progressivement en désuétude, instituerait à nouveau le gouvernement direct des partis. Peu importe qu’il s’agisse, demain, du Parti Socialiste, et après-demain, du R.P.R. : le plus grave serait cette confiscation de l’État, excluant tout ce qui ne serait pas le parti, les alliés, la clientèle.

L’ALTERNANCE

Pourtant l’alternance est nécessaire. Et les partis représentant trop de réalités politiques, sociales, intellectuelles, pour qu’on puisse envisager de les exclure de la vie publique. Salazar et Franco ont essayé. Mais la fin de leur dictature a entraîné la renaissance spontanée de ces expressions de la diversité d’un peuple. Alors que faire ?

La solution ne réside ni dans le caporalisme, ni dans un unanimisme de façade : il faut donner à l’État les moyens de s’élever au-dessus de la mêlée, afin qu’il puisse présider à l’alternance politique et arbitrer entre les intérêts particuliers. C’est ce que le général de Gaulle avait tenté, en donnant à la fonction présidentielle une légitimité populaire. Il ne s’agit pas de remettre en cause un consensus nécessaire, mais d’aller plus loin en faisant du chef de l’État l’incarnation même de la communauté nationale.

A côté de nous, l’Espagne montre que la monarchie est le moyen de la liberté dans l’unité, rendant possible l’alternance en dehors de tout esprit de guerre civile. L’exemple vaut la peine d’être médité, si nous voulons un jour mettre un terme à la guerre franco-française.

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Editorial du numéro 243 de « Royaliste » – 3 mars 1977

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