Avant de porter un jugement sur Siméon de Bulgarie et sur le mouvement populaire qui le met au premier plan, il importe de balayer les clichés.
Il est absurde de désigner comme « aristocrate » un homme qui s’affirme roi et que beaucoup considèrent comme tel. La monarchie se définit comme l’autorité exercée par une personne, alors que l’aristocratie est un pouvoir imposé par ceux qui estiment être les meilleurs. Exemple : la France est une monarchie élective, qui dérive vers une « gouvernance » aristocratique composée de technocrates et d’affairistes.
Il est inutile de gloser sur une généalogie allemande (celle des Saxe-Cobourg-Gotha) puisque Siméon II n’est pas un fils de famille mais un homme d’Etat de nationalité bulgare, fils de roi et roi lui-même selon le droit. On peut nier cette donnée historique et juridique. Mais en ce cas, on admet la légitimité de la dictature communiste et la légalité du référendum qu’elle avait organisé… C’est là une opinion qu’il faut avoir la courage d’assumer.
A propos de démocratie, je m’étonne que les journalistes sourcilleux qui nous entretiennent de « l’ex-roi » et du « monarque déchu » ne se soient pas émus des manœuvres pernicieuses par lesquelles certains milieux ont tenté d’empêcher la participation du Mouvement national Siméon IIà la campagne électorale. Simples détails ?
Ce n’est pas tout. Au lendemain du choix exprimé par les électeurs en faveur de Siméon, les aveugles parisiens se transformèrent en censeurs vigilants, indignés de voir surgir un roi d’opérette. Destiné à masquer un dépit ou à parfaire une réputation, ce trait polémique a manqué sa cible : le mépris visait le roi, c’est le peuple qui a été touché. Comme le peuple irlandais quand il «vote mal », comme le peuple français qui risquerait de « mal voter » sur le traité de Nice, le peuple bulgare est considéré comme un imbécile collectif. Dont acte ?
Si l’on veut jouer aux ressemblances, deux figures politiques s’imposent à notre réflexion. Celle du général de Gaulle, marginal en janvier 1958 et appelé aux affaires six mois plus tard avec un programme non moins « flou » que celui de Siméon : la restauration de l’autorité de l’Etat, la paix civile, la prospérité nationale. Excusez du peu !
Celle de Juan Carlos d’Espagne, méprisé (Juan le Bref), insulté (Fils de Franco !), devenu en peu de temps un chef d’Etat mondialement respecté et fort aimé de son peuple.
J’espère que Siméon II n’aura ni sa guerre d’Algérie, ni son putsch militaire. J’observe que, comme Charles de Gaulle et Juan Carlos, le roi de Bulgarie bénéficie à la fois de la légitimité démocratique, et de cette légitimité historique qui lui permet d’incarner l’identité nationale sans l’excès nationaliste et sans délires ethnicisants – puisque la royauté bulgare est tout naturellement fédératrice et protectrice de tous les groupes sociaux, culturels et religieux.
C’est dire que les atouts de Siméon ne tiennent pas dans un « carnet d’adresses » (tel est le compliment bêta qu’on lui fait à Paris) mais à son pouvoir symbolique. Ce qui n’est pas rien. La force symbolique, c’est ce qui rassemble en quelques mois plusieurs millions de citoyennes et de citoyens sur un projet politique. C’est aussi ce qui permet d’attirer l’attention de toute l’Europe sur une de ses nations oubliées, sur un peuple qu’on laisse exposé à la misère et au froid de l’hiver (1).
Car il faut, pour finir, retourner les métaphores. Au yeux des Bulgares, c’est à Paris que résident les riches aristocrates. Membres du club bruxellois, ils entendent les nations du sud-est européen « frapper à la porte » selon l’abjecte expression qu’utilise la domesticité médiatique. Ils ouvriront plus tard aux « bons élèves » de la Banque mondiale, s’ils en ont le temps. N’attendons pas leur bon plaisir : quoi qu’on pense de Siméon, il faut coopérer avec les Bulgares à leur plein développement.
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(1) cf. Entretien accordé par Siméon de Bulgarie à Royaliste, n° 773, 28 mai – 10 juin 2001.
Article publié dans le quotidien SUD OUEST – juin 2001
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