Vivons-nous dans une monarchie qui ne dirait pas son nom ? Et Giscard serait-il un roi sans couronne ? La thèse avait été avancée, voici quelques années, par des serviteurs empressés de plaire à l’actuel Président. Elle est aujourd’hui reprise, ou du moins suggérée, par une opposition qui entend par là dénoncer l’évolution autoritaire du régime installé il y a sept ans.

Posé en ces termes, le débat n’a aucune chance d’aboutir car chacun s’efforce de tordre ses arguments dans le sens de ses intérêts ou de ses passions : en s’inclinant devant le quasi-monarque de l’Elysée, les uns voudraient insérer le giscardisme dans la tradition nationale et présenter l’actuel Président comme l’héritier véritable du général de Gaulle; en dénonçant la «monarchie giscardienne», la gauche essaie de réveiller la «conscience républicaine» en évoquant l’imagerie noire de la monarchie «absolue» des vieux manuels d’histoire.

MONARCHIE ELECTIVE

Tout cela serait sans grand intérêt si les arguments présentés ne recélaient en leur fond quelques solides vérités, malheureusement mêlées de beaucoup d’illusions ou exprimées de façon confuse. Car il est vrai que le régime institué par le général de Gaulle en 1958 est monarchique dans son esprit. La Constitution le dit, quand elle pose les principes de l’indépendance de l’Etat, de la continuité de son action, de l’arbitrage nécessaire à l’existence d’une justice. Le général de Gaulle l’affirme bien haut lorsqu’il fonde les institutions nouvelles sur l’idée d’une légitimité historique et populaire, et quand il confie à Philippe de Saint-Robert qu’il a instauré une « monarchie élective » et qu’il a même songé à la monarchie héréditaire (1). Enfin, comment ne pas constater que le projet politique du général de Gaulle puisait son inspiration dans l’œuvre capétienne, essentiellement marquée par la lutte contre les féodalités et par la volonté d’indépendance face aux empires ?

Faut-il en conclure que Valéry Giscard d’Estaing exprime les mêmes soucis et partage les mêmes aspirations que son prédécesseur ? La place occupée n’est rien, si l’homme n’a pas le sens de sa fonction et le sens de la nation. Or, comment prendre au sérieux un Président qui affirme son intention d’aller à l’Elysée comme on va au bureau, et qui déclarait avant d’être élu que la France n’aurait plus d’histoire ? Peuton considérer comme un homme d’Etat celui qui confond les affaires de la nation et les intérêts de sa famille, et qui tire lui-même largement profit des fonctions qu’il exerce ? De tels actes et de telles paroles suffisent à disqualifier Valéry Giscard d’Estaing, et montrent qu’il est le contraire même de ce que fut le général de Gaulle.

Ces remarques sembleront peut-être trop polémiques. Admettons donc que l’actuel Président considère la politique comme un souci, et non comme une ambition, et que sa vocation soit le service de la nation, et non le profit personnel. Il est d’ailleurs possible que Valéry Giscard d’Estaing ait été effleuré par la grâce d’Etat, et qu’il ait compris que le pouvoir politique n’était ni le siège d’une société financière, ni un salon bourgeois.

FANTASME

En est-il pour autant devenu homme d’Etat, et capétien de surcroît ? Même si Giscard comprend aujourd’hui que le pouvoir est garant de l’unité, qu’il est la condition première de la justice et de la liberté, même s’il déclare dans ses discours que le chef de l’Etat doit être au-dessus des partis, afin d’être l’homme de la nation et l’arbitre entre les intérêts, il lui manquera toujours, pour être ce qu’il dit, la légitimité historique, sans doute récente, mais certaine dont disposait le général de Gaulle. Valéry Giscard d’Estaing n’est que l’héritier d’une dynastie bourgeoise : il ne se confond pas avec l’histoire de la nation par les services rendus, il n’est pas, non plus, l’héritier d’une famille traditionnellement vouée au service de l’Etat.

D’où une contradiction majeure entre l’homme qu’il est, et la situation qu’il doit assumer. Incapable de la dépasser par une politique de justice -qui serait trop contraire aux intérêts de sa caste-, incapable de définir un grand projet pour la France -faute de croire vraiment au destin de notre pays-, Valéry Giscard d’Estaing ne peut échapper à cette contradiction que par le fantasme et la caricature : cette volonté de se rattacher à Louis XV, cette manie d’une étiquette prétendument royale, ce mépris hautain confondu avec la vraie grandeur, tout indique que Giscard, incapable d’être roi et se sachant à la place du roi, se réfugie dans le passé, s’entoure des apparences de ce qu’il voudrait être, tente d’imiter un modèle qu’il ne peut atteindre. Ainsi les adeptes de la « monarchie giscardienne » se trompent, confondant comme le maître qu’ils servent la royauté absente et les pauvres apparences qu’on tente de lui substituer. Et la gauche manque sa cible lorsqu’elle dénonce comme monarchique l’autocratie vulgaire, la dictature molle et hypocrite qui définit l’Etat giscardien.

Autocratie en effet : quand le pouvoir politique ne se situe pas dans la continuité d’un projet historique, quand il ne se défend plus face aux puissances d’argent, quand il perd le souci de la justice et de la liberté, quand le dialogue n’existe plus entre ce pouvoir et le peuple, la force que détient l’Etat devient violence et l’on peut parler, avec raison cette fois, d’« exercice solitaire du pouvoir». Caricature de roi présidant des institutions vidées de leur esprit, Valéry Giscard d’Estaing aura décidément tout subverti : la société française, mais aussi des institutions qui auraient pu permettre, si de Gaulle avait été compris, la réconciliation de la tradition monarchique et de la tradition républicaine. Aujourd’hui, presque tout est à recommencer.

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(1)    Philippe de Saint Robert, Les Septennats interrompus, Laffont.

Editorial du numéro 329 de « Royaliste » – 8 janvier 1981

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