Populisme, c’est une accusation lancée à tous les vents. Tous ceux qui contestent radicalement la classe politique, le milieu dirigeant, les riches et les puissants sont dénoncés comme populistes. Trop large, cette définition est simplement polémique : c’est le tigre de papier brandi par l’oligarchie pour écarter la menace de l’insurrection populaire.
Il me paraît plus juste de désigner comme populistes les chefs politiques qui affirment incarner le peuple tout entier, et les organisations qui prétendent être le résumé de ce peuple dressé contre l’élite au pouvoir. Le fantasme maurrassien du « pays réel » opposé au « pays légal » trotte encore dans les fortes têtes, à droite et à gauche… La version douce du populisme, c’est le peuple organisé en corporations de métier, processionnant le dimanche. La version dure, c’est le Peuple-Un des régimes totalitaires qui est la négation de l’unité parce que l’unité rassemble des éléments différents.
Dans les deux cas, nous ne saurions être considérés comme populistes : pour nous le peuple est une multitude rassemblée par l’histoire et le droit ; ce peuple fait corps lorsqu’il exerce sa souveraineté, il se retrouve uni dans les grandes épreuves mais on doit faut accepter que, dans l’ordinaire des jours, il vaque à ses occupations. Nous pouvons donc vouloir l’unité politique sans risquer de détruire la diversité qui la compose. Il nous est donc impossible de communier dans une mystique de la fusion du Chef et du Peuple. Renonçant au mensonge de la « proximité », le chef de l’Etat doit être à distance du peuple afin de présider le système des médiations qui nous permettent de vivre ensemble. Le peuple français existe avec ses syndicats, ses partis, ses cultes, ses innombrables associations… Cela va sans dire ?
Non. Pas en cette période de crise. Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon, chacun à sa manière, proclame qu’il est la voix du Peuple qui va, grâce à son guide vertueux, prendre le pouvoir et donner le coup de balai salutaire. Je comprends qu’on puisse avoir envie de se joindre à la foule qui se rassemble et qui manifeste. Quand on découvre en quelques semaines le compte en banque de Jérôme Cahuzac, les liasses de billets de Claude Guéant et le système de corruption des Hauts-de-Seine, on éprouve un tel dégoût que le tribun de gauche ou de droite paraît admirable. Il suffirait alors de choisir entre Robespierre et Jeanne d’Arc !
Hélas, les deux tribuns conduisent vers les mêmes impasses. D’abord, ils sont deux à se présenter au nom du Peuple. Que l’un ou l’autre triomphe, c’est une fraction du peuple qui sera vaincue et exclue. Il faudra y ajouter tous ceux qui seront déclarés complices du « fascisme » ou de « l’islamisation » et tous ceux qui auront plus ou moins pactisé avec les anciens dirigeants. Je me place là dans la logique des discours prononcés et des anathèmes lancés sur la Toile. Mais tout chef populiste sera obligé d’abandonner son discours s’il est élu président de la République car il lui faudra respecter les institutions, accepter le résultat des élections législatives, donc le jeu des autres partis, et reconnaître le gouvernement issu de la majorité parlementaire.
Après avoir fait campagne avec un programme musclé, Marine Le Pen ou Jean-Luc Mélenchon ne pourront pas tenir leurs promesses révolutionnaires – à moins qu’ils ne disposent d’un parti largement majoritaire qui imposerait les bouleversements annoncés. Nous assisterions alors à une radicalisation de l’opinion. Tel est le paradoxe du tribun populiste : il promet au peuple qu’il sera Un, réconcilié et vengeur, alors qu’il créerait des divisions au sein du peuple lui-même – et beaucoup plus violentes que celles que nous connaissons.
Plutôt que de céder aux illusions, il faut militer auprès de ceux qui veulent aller au-delà de leur fonction tribunicienne (1) ou de leur carrière politicienne pour qu’ils se préparent à assumer pleinement la fonction présidentielle dans nos institutions restaurées et rénovées. Et s’ils souhaitent trouver courage dans l’histoire, ils peuvent bien sûr s’inspirer de Jeanne d’Arc en se souvenant qu’elle combattait pour la légitimité royale. Mais si cette solution leur paraît prématurée, il leur faut être résolument gaulliens.
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(1) Cf. sur ce blog les trois lettres que j’ai adressées à Marine Le Pen.
Editorial du numéro 1023 de « Royaliste » – 2013
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