Faute de pouvoir dissoudre le peuple dans une perspective brechtienne, les amis de Dominique Strauss-Kahn donnent congé aux classes populaires – sans s’apercevoir que le peuple a déjà rejeté la gauche tendance Carrera.

Comme événement significatif, c’est cent fois mieux que la Porsche Carrera dans laquelle DSK est monté – la photo désormais célèbre soulignant moins l’addiction au fric du directeur du FMI que l’incroyable légèreté de conseillers en communication qui sont pourtant les plus réputés du marché. Avec Euro RSCG, nous sommes dans l’esbroufe ravageuse. Avec Terra Nova, on entre dans la théorie sociologique utilitaire, destinée à éclairer le marché électoral, à repérer les électorats-cible et à évacuer tout ce qui fait tache : la mercatique est ici l’instrument d’un nettoyage social systématique. L’étonnant, c’est que Terra Nova, fondation « progressiste » – c’est le nouvel identifiant de la gauche social-libérale décontractée – ose dire tout haut ce que DSK et ses pairs pensent tout bas depuis belle lurette. En gros : les ouvriers sont de moins en moins nombreux et ils votent de plus en plus à droite ; il faut donc changer de base électorale et draguer les Jeunes, les Femmes, les Noirs, les Arabes, les Bourgeois-bohême des grandes villes – en essayant de séduire le maximum de Vieux.

Pourquoi le peuple vote-t-il à droite ? Parce qu’il est conservateur sur le plan des mœurs alors que la gauche (entendez le Parti socialiste) s’est ralliée à la révolution culturelle de Mai 1968 et s’est consacrée à la réforme des mœurs avec Lionel Jospin en abandonnant les objectifs de défense des salariés et de l’Etat social. Ce sont là de vieux constats, que Terra Nova se contente de recycler dans une mixture maison : au lieu de conclure que les socialistes doivent à nouveau répondre aux aspirations populaires par une politique de protection de l’industrie nationale, de hausse des salaires et d’extension de l’Etat social, les amis « progressistes » de DSK reprennent l’implacable logique brechtienne : « puisque le peuple vote contre le Gouvernement il faut dissoudre le peuple ».

Les chiens de garde de l’oligarchie de gauche n’ont pas la possibilité de dissoudre le peuple, attaché à des choses aussi ringardes que l’emploi et la feuille de paie. Mais il peut l’abandonner au Front national, qui l’abreuvera de démagogie et flattera son racisme car la gauche-en-Porsche comme la droite bling-bling croit que le peuple est raciste – alors qu’il est seulement malheureux comme le dit Emmanuel Todd.

Cet abandon cynique a choqué certains dirigeants socialistes qui ont pourtant été les artisans de la dérive libérale du Parti socialiste – n’est-ce pas Laurent Fabius ? Mais comment s’étonner que cette théorie du nettoyage social soit formulée par une fondation (1) dirigée par un homme – Olivier Ferrand – qui a été membre du cabinet de Lionel Jospin à Matignon, conseiller politique de Romano Prodi lorsque ce dernier était président de la Commission européenne, puis conseiller de Jean-Pierre Jouyet pendant la présidence française de l’Union européenne ? Ce jeune et brillant eurocrate a servi les naufrageurs du socialisme. Il est tout naturellement l’agent électoral de l’étrangleur de Washington qui doit rêver, quant à lui, d’une Grèce débarrassée de ses Grecs, d’une Irlande sans Irlandais… somme toute d’une Europe épurée de toutes ces populations énervées, criardes, irrespectueuses et parfois violentes.

Ce qui est farce, c’est que les petits marquis de la gauche libérale ne se rendent pas compte que c’est le peuple de gauche qui les a condamnés et rejetés  – bien avant que Terra Nova ne publie ses statistiques et ses graphiques et n’entérine officiellement le divorce. Je dis cela pour rire un peu, mais la froide liquidation d’un peuple qui n’est plus convenable se fait sans aucun souci de la paix civile et sociale dans une France qui est vouée, après mai 2012, à la thérapie de choc déjà appliquée à plusieurs de ses voisins.

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(1) Parmi les mécènes de Terra Nova : Euro RSCG, la fondation Total, Microsoft ou encore GMF : the German Marshall Fund of the United States.

Article publié dans le numéro 992 de « Royaliste » – 23 mai 2011

 

 

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