Jeune ouvrier devenu révolutionnaire professionnel puis chef du Parti communiste yougoslave, Josip Broz devint sous le pseudonyme de Tito un chef de guerre redoutable, principal artisan de la libération de son pays. Contre Staline, il forgea dans la violence une Yougoslavie paisible, non-alignée et relativement prospère qui ne lui survécut que quelques années.
La Yougoslavie appartient à l’histoire du XXème siècle, à elle seulement. Créée à la suite de la Première Guerre mondiale sous l’égide de la dynastie serbe, le pays connut de terribles déchirements pendant l’occupation allemande mais sortit renforcé de l’épreuve grâce à l’un des grands hommes du siècle : Josip Broz Tito, né le 7 mai 1892 dans un village croate comme sujet de l’empereur François-Joseph, mort le 4 mai 1980 à Ljubljana alors qu’il cumulait les plus hautes charges de la République fédérative socialiste de Yougoslavie.
Eminent historien slovène, Joze Pirjevec s’est appuyé sur une documentation considérable, dont maintes archives inédites, pour établir la biographie, qui fera autorité pendant plusieurs décennies, d’un homme qui s’est engagé très tôt dans l’action militante. Dès 1910, Josip Broz adhère à l’Union des ouvriers métallurgistes puis, en 1911, à l’Union de la jeunesse socialiste. Il fait la guerre, courageusement, dans les rangs autrichiens. Blessé, il est fait prisonnier par les Russes en avril 1915, puis profite de la Révolution de février pour s’enfuir et se trouve à Petrograd aux côtés des bolchevicks. C’est le début d’un engagement, riche en péripéties, qui fait de Josip Broz un révolutionnaire professionnel. Ce kominternien parfaitement dévoué, membre du NKVD, fait partie des liquidateurs de communistes suspects en Espagne avant d’être choisi par Staline pour diriger le Parti communiste de Yougoslavie (PCY).
L’agression allemande du 6 avril 1941 et la capitulation de l’armée yougoslave dix jours plus tard transforment le dirigeant politique en chef de guerre. Alors que Staline veut toujours croire au Pacte germano-soviétique, Tito et le PCY décident d’engager immédiatement la lutte armée contre l’Occupant germano-italien et ses alliés locaux, sans perdre de vue la prise révolutionnaire du pouvoir. Très vite, la Yougoslavie devient le théâtre d’une guerre de libération nationale et d’une guerre civile qui oppose les Partisans communistes et les Tchetniks serbes royalistes commandés par le général Mihailovic aux Oustachis qui ont créé un Etat croate et aux Serbes qui soutiennent le gouvernement de collaboration de Milan Nedić. Puis le fragile front patriotique se fracture. Draža Mihailović privilégie la lutte contre les communistes, tente de négocier avec les Allemands, passe des accords avec les Italiens et le gouvernement Milan Nedić. En février-mars 1942, lors de la bataille de la Neretva, les Tchetniks tentent de barrer la route aux Partisans qui battent en retraite devant les Allemands. Fin 1943, les Alliés cessent de soutenir le général Mihailović, que le roi Pierre démet en juin 1944 de ses fonctions de ministre de la Guerre dans le gouvernement yougoslave en exil. Tito, qui s’est fait proclamer maréchal, sort vainqueur de la guerre de libération et de la guerre civile – toutes deux effroyables.
Alors que Staline est favorable au maintien de la monarchie, le Parti communiste conquiert tous les pouvoirs, élimine les forces d’opposition puis dépose le roi Pierre en novembre 1945. Un socialisme de type soviétique est mis en place mais Tito, héros d’une résistance nationale, refuse le sort dévolu aux « démocraties populaires » d’autant plus facilement que ce sont les Partisans qui ont vaincu les Allemands – l’Armée rouge n’intervenant sur le territoire yougoslave que de manière temporaire à partir de la fin septembre 1944. En juin 1948, la rupture avec Staline est violente et les relations entre la Yougoslavie et l’Union soviétique resteront empreintes de méfiance malgré divers retrouvailles et accords.
Dans l’Europe de la guerre froide, face au collectivisme soviétique, le maréchal Tito met en place un modèle singulier. Sous l’égide de la Ligue des communistes, la Yougoslavie s’institue en Etat fédéral – tel est l’héritage historique –, non-aligné par rapport aux deux blocs et qui tente de s’organiser sur le mode de l’autogestion. Joze Pirjevec explique toutes les difficultés rencontrées par les dirigeants yougoslaves, pris dans leurs rivalités et confrontés à la montée du nationalisme en Croatie et chez les albanophones du Kosovo. Il montre aussi les succès de la politique de non-alignement, qui permet aux Yougoslaves de circuler librement dans le monde entier, et la réalité d’un développement économique qui a des effets tangibles sur une grande partie de la population. Mais le Maréchal n’a jamais voulu de successeur et il assiste dans les dernières années de sa vie au lent effondrement de son œuvre, prélude à de nouvelles tragédies. Elles furent si sanglantes que, dans tous les Etats issus des guerres civiles, beaucoup aujourd’hui regrettent Tito et la Yougoslavie.
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(1) Joze Pirjevec, Tito, Une vie. Préface de Jean-Arnaud Dérens, Traduit du slovène par Florence Gacoin-Marks. CNRS Editions, 2017.
Article publié dans le numéro 1152 de « Royaliste » – 2018
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