La trop longue attente de la nomination d’un Premier ministre était parfaitement inutile. L’itinéraire et la personnalité de Michel Barnier sont anecdotiques. Le principal souci de l’oligarchie, depuis le 7 juillet, c’est de préserver les intérêts du capitalisme financier.   

Le commentaire médiatique sur les atermoiements élyséens a parfois surpris par sa virulence. On vit fleurir des jugements péremptoires sur Emmanuel Macron, proférés dans des émissions où l’on fait d’ordinaire preuve du plus épais conformisme. Puisant à pleines mains dans le stock des concepts psychanalytiques, des journalistes de cour en viennent à évoquer le narcissisme, l’égotisme, voire la perversité du Jupiter déchu.

N’allons pas si loin ! Quand elle s’était interrogée sur les raisons de la dissolution, la direction de la Nouvelle Action royaliste avait écarté les analyses psychologiques, toujours hasardeuses quand on les fait à distance, pour s’en tenir à une hypothèse dépourvue de toute subtilité : Emmanuel Macron est un homme qui veut rester au centre du jeu, alors que la perspective de la prochaine présidentielle conduit à sa marginalisation puisqu’il ne peut pas se représenter.

Notre plate hypothèse a été confirmée par la comédie des consultations de personnalités diverses, voire improbables. Il s’agit pour l’Elysée de garder le contrôle de Matignon et des principaux ministères, dans le parfait mépris du rôle arbitral de la présidence. C’est pourquoi Emmanuel Macron a songé au président du Conseil économique avant de choisir Michel Barnier, pâle figure de revenant qui ne lui fera pas de l’ombre.

Les tours de piste des candidats ont fait monter le flot des sarcasmes. Ils ont surtout permis de souligner un double paradoxe. Le front républicain contre le Rassemblement national incluait la France insoumise qui s’est ensuite trouvée exclue de “l’arc républicain”, alors que des députés de droite ont été élus avec des choix de gauche et réciproquement. Plutôt que de rejeter publiquement Lucie Castets dans les enfers de l’extrémisme, il eût été plus habile de la nommer afin de prouver qu’un gouvernement issu du Nouveau Front populaire ne pouvait pas tenir la distance. Avancé par Emmanuel Macron, l’argument de la stabilité institutionnelle n’est pas sérieux, venant de quelqu’un qui est responsable du chaos.

Deuxième paradoxe : le Rassemblement national qu’on prétendait exclure du cercle des gens convenables a été régulièrement consulté et ses dirigeants ont fait clairement savoir leurs refus et leurs conditions. Au fil des consultations, il était devenu évident qu’un gouvernement de droite ne devrait son existence qu’au tacite consentement du groupe présidé par Marine Le Pen.

D’où l’éviction de Xavier Bertrand, qui déplaît – c’est le moins qu’on puisse dire – à Marine Le Pen. Et c’est bien le Rassemblement national qui assurera la survie du gouvernement Barnier, puisque l’un de ses dirigeants s’est empressé d’annoncer que le RN ne voterait pas la censure “dans l’immédiat”. Il faudra donc que le nouveau Premier ministre donne de sérieux gages à une extrême droite contre laquelle un certain Emmanuel Macron nous priait de faire barrage. La corde lepéniste va soutenir le pendu Barnier… jusqu’à un certain point. Marine Le Pen pourra tout à loisir soutenir le gouvernement et démontrer son “sens des responsabilités” ou voter la censure afin de “faire prévaloir l’intérêt du pays”. Ah ! Ce Monsieur Macron ! Quel tacticien ! Quel stratège ! Quel artiste !

Maintenant, nous allons assister à la lecture publique d’une comédie classique qui a pour titre : “La douloureuse surprise”. A peine installé à Matignon, le Premier ministre s’aperçoit que le budget est lourdement déficitaire, que la dette publique est colossale, qu’il n’y a plus d’argent dans les caisses et que, “faute de marges de manœuvres”, il est indispensable de consentir à une implacable austérité. Les oppositions protesteront, les syndicats manifesteront mais la barniérie, comme avant elle la chiraquie, la hollandie et la macronie, clameront que la Commission européenne est sur le point de nous punir et que les Marchés financiers vont déchaîner les démons de la spéculation. C’est avouer que la France n’est plus maîtresse de ses choix et que les consultations électorales ne servent qu’à entériner des discours de droite ou de gauche qui conduisent, au bout de quelques semaines ou de quelques mois, à la même résignation secrètement satisfaite.

Avec Michel Barnier, pas besoin de contorsions lexicales. Nous avons assisté à un passage de relais immédiat, au sein de l’oligarchie, qui garantit la protection et la promotion des intérêts des groupes financiers. Touchez pas au grisbi ! Telle est l’injonction commune, déclinée sur tous les tons par Emmanuel Macron, qui pense et agit comme banquier, par Gabriel Attal, expert en séduction communicationnelle, par Michel Barnier, qui incarne la tendance molle de l’extrémisme néolibéral, par Edouard Philippe, par les dirigeants du patronat qui ont multiplié les avertissements à l’intention des “Rouges”.

Face à l’oligarchie, Marine Le Pen s’efforcera-t-elle de défendre le pouvoir d’achat des classes moyennes et populaires ou choisira-t-elle de ne pas gêner les défenseurs du Capital ? L’alliance avec Éric Ciotti a déjà esquissé la réponse.

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Article publié dans le numéro 1283 de « Royaliste » – 9 septembre 2024

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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