Toujours plus de diktats

Oct 17, 2011 | Union européenne

 

Pour se préparer à la lutte, il faut tenter de comprendre l’adversaire, même lorsqu’il semble avoir perdu la raison. A Bruxelles, à Francfort, les oligarques sont-ils vraiment affolés par la catastrophe en cours ? Se mentent-ils à eux-mêmes autant qu’ils nous mentent ? Tactiques et stratégies officielles dépendent de leurs pathologies, qui ne sont pas nécessairement accordées, mais aussi de leurs calculs et de leurs intérêts.

Le traitement de choc appliqué à la Grèce ajoute l’absurde à l’odieux. La baisse des retraites et des salaires, l’augmentation des impôts et la diminution du nombre de fonctionnaires n’ont rien résolu : le déficit commercial est de 11% du PIB, le taux de chômage est passé de 7% à 16%, le déficit budgétaire n’est pas maîtrisé et la dette se creuse. Nul besoin d’un diplôme de sciences économiques pour comprendre que le durcissement de ces mesures, accompagné par un vaste programme de privatisations, ne fera qu’accroître la récession et la misère.

Dès lors, pourquoi s’obstiner ? Tout le monde a compris que la destruction de la nation grecque et du peuple grec – fermetures massives de commerces, expatriation des jeunes, augmentation de 30% des suicides – est voulue pour protéger les banques françaises et allemandes. Et le programme de privatisation imposé par la troïka donnera aux prédateurs étrangers l’occasion de réaliser d’ultimes profits. Ce sont là des calculs à court terme qui ont deux effets visibles :

La haine croissante du peuple grec et de tous les peuples exposés aux thérapies de choc pour les oligarques, la haine qui va remplacer l’indignation et provoquer de violentes insurrections populaires.

La destruction de l’idée européenne (1) par les eurocrates qui imposent partout  la sauvagerie du capitalisme financier. Toutes les promesses faites depuis la fin de la guerre sur l’Europe des peuples, paisible et prospère parce que toujours plus « intégrée », ont été piétinées par ceux-là même qui les énuméraient.

C’est pourtant en cette période d’effondrement que les milieux dirigeants relancent le projet de fédération européenne que je tiens pour mort et enterré. Le Monde (4 octobre) nous informe que « la crise de la zone euro rend la gauche fédéraliste » en France, en Allemagne et en Italie. La droite n’est pas en reste : Alain Juppé s’est déclaré partisan d’une « véritable fédération européenne » le 29 septembre sur France 2 et Nicolas Sarkozy se dit en privé partisan d’un « saut intégrateur » selon Jean Quatremer (2).

On se rassurerait à tort en raillant un classique phénomène de fuite en avant. Le « saut » envisagé ne nous projetterait pas dans la douce utopie démocratique et sociale dont certains rêvaient dans les années cinquante. Les oligarques veulent sauver leurs pouvoirs et leurs privilèges. Logiques avec eux-mêmes, ils conçoivent la « gouvernance européenne » comme une extension et un durcissement du « despotisme éclairé » dénoncé par Hubert Védrine. Preuve : la lettre adressée le 5 août au gouvernement italien par Jean-Claude Trichet et Mario Draghi (3). Le Premier ministre se voit prescrire des mesures « indispensables » à prendre en urgence : « privatisations de grande ampleur » ; réforme du « mécanisme collectif de négociation salariale » ; réformes pour « adapter les salaires et conditions de travail aux besoins spécifiques des firmes » ; « révision en profondeur des règles régissant le recrutement et le licenciement des salariés » ; mesures de réduction du « coût des emplois publics, en durcissant les règles de renouvellement du personnel et, si nécessaire, en baissant les salaires » ;  « réforme constitutionnelle visant à durcir la législation fiscale ».

La « gouvernance européenne » ordonne des mesures punitives, le gouvernement national exécute, le peuple n’entre pas en ligne de compte. Le schéma expérimenté en Grèce sera méthodiquement appliqué en Italie, en Espagne, au Portugal, plus tard en France si les gouvernements ne devancent pas les ordres de la troïka. Le fédéralisme européen sera antidémocratique ou il ne sera pas.

***

(1) l’article de Laurent Pinsolle publié sur le Blog gaulliste libre : http://networkedblogs.com/o3OJI

(2) Libération du 30 septembre.

(3) Successeur de J-C. Trichet à compter du 1er novembre, Mario Draghi a été vice-président pour l’Europe de Goldman Sachs.

 

Editorial du numéro 998 de « Royaliste » – 17 octobre 2011

 

 

 

 

 

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