Tout ce qu’il faut savoir sur les impôts

Oct 7, 2023 | Economie politique

 

 

Il fallait beaucoup d’audace pour envisager d’écrire une histoire mondiale des impôts. Grâce à la science des deux auteurs et à la clarté de leur écriture, voici, sur une matière austère un ouvrage (1) accessible, passionnant et parfois réellement divertissant.

Ce voyage au fil des siècles fait découvrir l’ampleur du domaine fiscal, qui est d’ailleurs en constante extension, et l’abondance des sujets qui s’y rapportent. Pour saisir les multiples enjeux, il faut s’intéresser à l’étymologie latine (imposition, fisc…), à l’histoire des empires et à celle des nations, aux structures administratives et aux représentations sociales, aux modes de prélèvement et aux nombreuses formes de résistance à l’imposition… Éric Anceau et Jean-Luc Bordron traitent ces questions, et bien d’autres, de manière approfondie, offrant à notre réflexion de remarquables comparaisons entre les pays. Il faut ici se limiter à quelques coups d’œil.

L’acte d’un pouvoir. L’impôt n’est pas seulement ce qui est imposé (impositum). Ce prélèvement sur les membres d’un groupe social est l’acte d’un pouvoir local, religieux ou étatique qui affirme sa puissance et la conforte par le moyen fiscal. Il y a une relation étroite entre l’impôt et la création de la monnaie, qui est – sauf dans la zone euro de l’Union européenne – l’acte d’un pouvoir souverain. L’impôt est également lié à la dette mais sur ce point le débat n’est pas tranché : à la théorie de la dette primordiale selon laquelle le roi prend en charge la dette que chacun doit aux dieux – ce qui justifierait le prélèvement de l’impôt – s’oppose la thèse selon laquelle la monnaie serait le signe d’une dette contractée par chacun et impossible à payer.

Ceux qui s’interrogent sur la politique fiscale de la monarchie capétienne trouveront dans le livre d’Éric Anceau et de Jean-Luc Bordron de précieux éclaircissements sur une matière confuse, riche en termes abandonnés (aides, taille, paulette etc.), d’où il ressort que la monarchie antérieure à 1789 a cheminé avec lenteur, maladresse et pesants compromis vers le principe d’une imposition commune à tous les sujets du royaume. En 1707, Vauban l’avait réclamée dans son projet de Dîme royale – laquelle impliquait la suppression des ordres privilégiés. Louis XIV aurait dû écouter son génial architecte car la fiscalité fut l’une des causes de la Révolution française. Le Roi-Soleil imposa cependant un premier impôt de capitation – par tête – qui toucha tous les ordres en 1695-1697 puis un second en 1701 qui fut maintenu jusqu’en 1789.

L’égalité pour principe. Proclamé en 1789, le principe d’égalité devant la loi s’est logiquement appliqué au domaine fiscal selon l’article 13 de la Déclaration qui affirme que “Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés”. C’est réaffirmer l’une des raisons d’être de la fiscalité, commune à toutes les civilisations sédentaires : assurer la défense du territoire, qu’il faut aussi organiser.

Ces exigences demeurent mais l’époque moderne a précisé et étendu le rôle de l’impôt qui peut orienter l’activité économique générale – en assurant par exemple la protection de l’activité économique nationale par les droits de douanes. La fiscalité indirecte peut également influencer les choix des consommateurs. Lorsque les conditions politiques sont réunies, l’impôt peut assurer une plus juste redistribution du revenu national. Éric Anceau et Jean-Luc Bordron exposent clairement les termes du vieux débat entre la progressivité de l’impôt, facteur de justice sociale, et sa proportionnalité défendue par les théoriciens néolibéraux.

Dans les sociétés anciennes comme dans les modernes, le contribuable estime toujours qu’il paie trop d’impôts, ce qui a donné lieu à toutes sortes de plaintes littéraires et de quolibets vengeurs. Depuis deux siècles, dans notre pays comme dans beaucoup d’autres, le contribuable est un citoyen qui peut consentir à l’impôt dès lors que le système représentatif fonctionne de manière satisfaisante. De même qu’il légitime le pouvoir politique, le consentement justifie l’impôt. Mais à la crise de la représentation, s’ajoute le poids, mal perçu, d’une Union européenne qui poursuit le rêve d’une harmonisation fiscale conçue selon les préceptes néolibéraux.

L’ultra-concurrence sur le marché mondialisé fait peser des menaces supplémentaires en raison de la libre circulation des capitaux et de la volatilité des échanges opérés massivement par le capitalisme de plateforme. L’échec de la taxe Tobin et la lente marche vers un impôt mondial de 15% sur les sociétés montrent que le fameux renard libre ne veut céder aucun des avantages indus qui lui permettent de ravager le poulailler libre mondialisé. D’où la juste observation d’Éric Anceau et de Jean-Luc Bordron : “Pour faire face à la concurrence du marché mondial, malgré les efforts de coopération, voire de coordination, à l’échelle internationale, chaque Etat tend à ériger ses propres protections pour affirmer sa souveraineté et défendre ses intérêts”. Pour la France, il ne s’agit encore que d’un vœu.

On se reposera de ces questions austères en découvrant l’extraordinaire inventivité fiscale dont les Etats ont fait preuve à travers les âges et les changements de régime : taxes sur les barbes, les riches et les cercueils imposées par Pierre Le Grand au peuple russe ; impôt britannique sur les chiens, introduit en France sous le Second Empire ; taxe allemande sur le vinaigre de 1929 à 1980 et bien sûr taxes variées sur les automobiles dans maints pays…

Les révoltes fiscales – la dernière en France fut celle des Bonnets rouges en 2013-2014 – ne pourront pas changer l’ordre injuste des choses. En ce domaine aussi, il faudra faire une révolution dans les deux sens du terme : retour aux principes fondamentaux de notre droit, bouleversement du système opaque qui privilégie les hautes classes de la société.

Lorsque sonnera l’heure de la grande remise en ordre des comptes publics selon le principe de justice sociale, le livre d’Éric Anceau et Jean-Luc Bordron sera, pour les législateurs, une indispensable référence.

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1/ Éric Anceau, Jean-Luc Bordron, Histoire mondiale des impôts, De l’Antiquité à nos jours, Passés Composés, 2023. Voir sur la chaîne YouTube de la NAR la présentation de ce livre par Éric Anceau.

Article publié dans le numéro 1263 de « Royaliste » – 7 octobre 2023

 

 

 

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