Sont-ils bêtes ? Sont-ils méchants ? Pas le moins du monde ! Toutes tendances confondues, nos oligarques sont intelligents, cultivés et animés, à l’égard des populations qu’ils administrent, d’excellentes intentions. Ignorent-ils les sentiments de leurs électeurs et les passions françaises ? Au contraire ! Dans le milieu dirigeant, on est toujours très bien informé, même si les sondages font trop souvent tourner les têtes. Dossiers de presse, notes d’experts, responsabilités municipales et déplacements sur le fameux « terrain » donnent à chacun des masses surabondantes de faits, de chiffres et autres « données ».
L’oligarchie n’est donc pas une société d’initiés qui se partageraient d’importants secrets mais un club socio-culturel chic, où l’on répète au souper les analyses et les commentaires des grandes plumes de la presse quotidienne. Quant aux mouvements profonds qui agitent le peuple de France, les gens d’en haut n’en savent donc pas plus que les gens d’en bas.
Ils savent que l’abstention atteint des sommets : plus de douze millions d’électeurs se sont abstenus ou on voté blanc au premier tour de la présidentielle ; et dix sept millions au second tour des législatives. Les résultats sont encore plus cruels si l’on compare le nombre de suffrages exprimés au nombre de Français en âge de voter.
Ils savent que cet impressionnant refus s’explique autant par l’indifférence, plus ou moins feinte, que par la déception de millions de citoyens qui s’estiment régulièrement floués.
Ils savent que ces déçus sont pour la plupart des chômeurs, des jeunes, des travailleurs pauvres, des salariés de toutes catégories qui subissent une ou plusieurs formes d’exploitation.
Ils savent que plus de dix millions d’électeurs ont choisi des candidats protestataires, de la droite populiste à la gauche révolutionnaire, au premier tour de l’élection présidentielle, et ils constatent comme nous que cet électorat ne sera pas du tout représenté à l’Assemblée nationale puisque le Parti communiste est devenu l’otage de la direction socialiste.
Ils savent, enfin, que l’assise électorale et sociologique de l’oligarchie et de ses organisations ne cesse de s’affaiblir.
On dit et on répète que les voix de Jacques Chirac ne représentaient que 20{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} des suffrages exprimés et 14{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} des électeurs inscrits au premier tour de l’élection présidentielle ; on rappelle que, par rapport à l’élection de 1995, Lionel Jospin avait perdu, le 21 avril dernier, 2 millions et demi d’électeurs ; on n’oublie pas, non plus, que toutes les élections depuis vingt ans se font sur le mode du rejet plus que par adhésion à un projet. Et les analystes affirment, chiffres à l’appui, que les formations de centre droit et de centre gauche perdent leur électoral populaire. En guise de consolation, ils ajoutent que les mêmes phénomènes s’observent dans toute l’Union européenne.
Face à ces observations concordantes, à quelques nuances près, nos oligarques jouent la comédie désormais classique des lendemains d’élection : ils expriment leur préoccupation, voire leur inquiétude quant à l’ampleur des phénomènes constatés ; ils prennent une attitude modeste et assurent qu’ils vont se mettre au travail sans tarder : priorité à l’écoute, à la proximité, au concret, volonté de moderniser le pays…
Nous savons quant à nous que ces prétendus réalistes ne tireront aucune leçon de la réalité chiffrée. Les vainqueurs d’aujourd’hui, qui étaient les battus d’avant-hier (n’est-ce pas, Alain Juppé ?), suivront la ligne tracée par les vaincus d’hier – ce qui devrait logiquement les conduire à la défaite lors de la prochaine consultation. Les principales décisions ont été prises par Jacques Chirac et Lionel Jospin à Lisbonne et à Barcelone, le système européen de contrainte monétaire et budgétaire demeure en l’état, le matériel idéologique n’a pas changé.
Nous savons aussi que la contestation populaire ne faiblira pas : elle vise principalement la technocratie européiste et l’ensemble de milieux politiques et financiers qui sont responsables des ravages exercés par l’ultra-concurrence. Faute de pouvoir exprimer leur colère dans le champ politique, des millions de citoyens l’expriment déjà sur d’autres terrains. La guerre sociale va s’étendre et s’intensifier.
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Editorial du numéro 797 de « Royaliste » – 24 juin 2002
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