Cher Luc,
Vous voici en campagne, selon les principes qui nous sont chers : sans masques et sans contorsions, sous notre bannière. Vous êtes royaliste et vous le dites. C’est simple – d’autant plus simple que vous vous présentez dans une région qui sait, de longue et douloureuse mémoire, ce que cette fidélité veut dire. Deux siècles après l’exécution de Louis XVI et le début de l’insurrection vendéenne, il est bien qu’un royaliste imprime sa marque singulière dans le débat électoral.
Mais comment ? Lorsque François Guerry, aujourd’hui votre suppléant, a eu l’idée de cette campagne, nous n’avons guère hésité sur le sens qu’il fallait lui donner : dire en Vendée, pour elle, toute la tradition dont nous sommes fiers, et l’inscrire avec les Vendéens dans le monde moderne.
MEMOIRE
Tradition et modernité. Pour nous, ces deux mots ne composent pas un slogan de circonstance sur fond de paradoxe habile et séduisant. J’y songeais à Nantes lorsque nous avons réuni, fin décembre, celles et ceux qui avaient immédiatement adhéré à notre projet. Il y avait là de jeunes militants, et de vieux camarades qui comptent parmi les fondateurs de notre mouvement : Isabelle, François, Marie-France, Jean-François, ont participé, voici vingt ans, à notre première campagne qui alliait déjà la tradition et le progrès.
C’est dire à quel point nous sommes fidèles à notre conviction essentielle et à notre intention première, n’en déplaise aux malveillants. Eh oui ! Depuis 1971, on nous montre du doigt : « gauchistes », royalistes « de gauche », nous serions traîtres à la cause, nous avons renié la vérité selon Charles Maurras… Combien de nos impitoyables censeurs, gardiens sourcilleux du temple maurrassien, ont fait de brillantes arrières dans ce qu’il nommaient avec dégoût le « pays légal »… Je n’ai pas fait le compte, mais je crois me souvenir qu’un certain Philippe de Villiers nous trouvait naguère pas assez royalistes à son goût – entendez par là trop démocrates. Nous avons souri lorsque nous l’avons vu adhérer, sans états d’âme, au parti… républicain. Et quand j’entends dire qu’il vous acte de « mitterrandisme », j’en viens à douter de mes souvenirs : est-ce Philippe de Villiers, ou Luc de Goustine, qui fut ministre sous le premier septennat de François Mitterrand ? Dans le domaine des valeurs, cher à votre accusateur, il me semble préférable de soutenir le président de la République à distance respectueuse – plutôt que de le désigner comme le diable avant de cohabiter avec lui.
II n’empêche. Les bien-pensants vous reprocheront cette candidature, « chez » Philippe de Villiers. C’est vrai, vous dérangez. Mais vous pouvez dire sereinement pourquoi vous êtes venu parcourir librement cette terre vendéenne sans demander la permission au maître des lieux. Il ne s’agit pas de ferrailler avec un petit seigneur local qui aurait oublié, quant au service du roi, ce qu’implique un titre de noblesse : à lui seul, le marquis de Villiers ne vaudrait pas la moindre campagne. Ce qui est en jeu, en Vendée, en France, en Europe – excusez du peu – c’est notre situation d’hommes et de citoyens dans la continuité historique, c’est notre relation au passé, c’est notre capacité – si faible aujourd’hui – à envisager l’avenir commun.
Voilà, dira-t-on, de bien grands mots pour cette campagne de mauvais garnements. C’est si vrai que nous avons demandé à un philosophe de venir nous donner une leçon sur le Temps. Et Jean-Toussaint Desanti, au cours de cette conférence, nous a expliqué notamment qu’une société privée de son passé sombrerait immédiatement dans la folie meurtrière. Pas d’avenir sans mémoire du passé. Mais la tragédie yougoslave nous montre aussi qu’il n’y a plus de vie possible si l’on s’enferme dans le passé…
EQUILIBRE
Alors nous sommes tenus de marcher sur un fil qui s’appelle la tradition. La tradition, ce n’est pas le passé immobile mais son élément vivant qui donne l’assurance nécessaire pour se projeter en avant. Trop de passé, et nous tombons dans l’inerte. Trop peu de passé et nous vacillons faute de repères. Telle est la seule certitude, qui ne garantit pas contre les chutes, mais qui permet d’avancer. La théorie est simple, mais l’application expose à tous les sarcasmes. L’équilibriste sur son fil manque parfois d’élégance, et les spectateurs lui reprochent d’être trop lent ou trop pressé. Tel est bien le motif de l’agacement, ou de l’exaspération, que nous provoquons : trop « en arrière » pour la gauche, trop « avancés » pour la droite, nous ne sommes jamais là où l’on nous attend. Et le fait de répondre que nous sommes en marche, n’arrange rien…
Telle est pourtant la vérité vraie : nous avançons, au péril de nous-mêmes, attentifs à toutes les traditions qui constituent la France et toujours prêts à cheminer de compagnie. Cela ne signifie pas que je vais, pour conclure, vous consacrer « candidat de l’avenir ». Nous ne garderions pas longtemps notre sérieux. L’avenir, vous allez l’évoquer avec les Vendéens, l’imaginer avec celles et ceux, de tous métiers et de tous bords, qui ont choisi, contre l’exploitation politicienne du malheur, la mémoire fidèle et la tradition vivante. Telle est la meilleure façon de vivre dans le monde moderne, de l’humaniser, afin que nos enfants en reçoivent la plus belle part.
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Editorial du numéro 595 de “Royaliste” – 22 février 1993.
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