Parler le plus possible de la France. Le conseil que le Premier ministre a donné aux militants de son parti mérite d’être approuvé. Bien sûr, il serait facile de situer cette exhortation dans un moment tactique de la précampagne présidentielle, ou d’y voir un effet de ce « travail d’image » tant prisé par les hommes politiques. Après une intense agitation aux visées électoralistes, après les « affaires » discréditant le Parti socialiste, le futur candidat avait tout intérêt à reprendre de la hauteur, et à inviter ses militants à le suivre dans son élan.

GAULLISME

Mais, chez Jacques Chirac, les élans ne sont pas toujours calculés, et chacun sait que cet homme aléatoire est capable de cris du cœur. Aussi peut-on tenir pour authentique ce souci de la France, qui nous donne le regret d’un Chirac pleinement héritier de la tradition gaullienne, et non de manière épisodique. Le débat politique de ces dernières années s’en serait trouvé bouleversé, comme le système des alliances partisanes, et cette cohabitation soupçonneuse aurait pris une tout autre dimension… Mais la tradition gaullienne, à l’image de la capétienne, a toujours été cause de révolutions. Pour la continuer, pour l’accomplir, il aurait fallu que Jacques Chirac prenne le temps de la réflexion, s’expose au risque de l’incompréhension et de la solitude, invente d’autres formes de présence dans la vie politique et, surtout, réaffirme en toute liberté le projet de la France dans le monde et mette en œuvre la participation. On sait que le chef du RPR a préféré la sécurité d’un appareil politicien, l’appui des groupes d’intérêts, les facilités démagogiques, en d’autres termes le chemin bien balisé vers le sommet de l’Etat – qu’il n’atteindra probablement pas.

Retenons le conseil de Jacques Chirac, – plutôt que de suivre son exemple décevant. Mais à qui s’adresser, pour parler de la France ? Les familiers de ce journal connaissent nos interlocuteurs attitrés, que nous ne choisissons pas selon la couleur de leur étiquette. En cette fin d’année du Millénaire, qui fut aussi celle du débat sur la nationalité, il y a lieu de privilégier le dialogue avec les nouveaux venus dans notre pays, souvent accusés d’être irrémédiablement étrangers à la France à cause de signes distinctifs qu’on trouverait dans leur mentalité ou sur leur visage.

Ceux qui prononcent ces exclusions sommaires devraient assister, au moins une fois, à une réunion de jeunes Français issus de l’immigration. Ils y découvriraient qu’il n’y est question que de la France (1). On aimerait, chez tous les Français de « vieille souche », une relation aussi passionnément réfléchie à notre nation, à la société qu’elle forme, à son histoire, à ses institutions. Cette volonté d’intégration de la deuxième génération honore notre pays, et nul ne saurait lui dénier le droit de participer à la vie démocratique comme électeurs et comme élus.

Entre un mouvement aussi exemplaire que « France Plus » et nous, il y a cependant matière à débat, non sur les finalités, ni sur les modalités, mais sur les références. Qu’on ne se méprenne pas. L’adhésion aux principes de 1789 est légitime et l’invocation à la République ne peut nous choquer puisque ce mot est aujourd’hui synonyme d’Etat de droit. Sans esprit de propagande, sans dogmatisme aucun, nous plaidons simplement pour une réflexion sur toute l’histoire de France, pour la référence à l’ensemble de sa tradition. La Révolution de 1789 s’y inscrit à sa manière en laïcisant les valeurs chrétiennes, et la rupture républicaine apparaît aujourd’hui moins radicale dans les faits que dans son expression violente. Lors de notre « Carrefour » sur les institutions de la 5ème République, Blandine Barret-Kriegel a très clairement mis en évidence les éléments de continuité dans notre tradition politique. S’il est vrai que la République récuse la référence du pouvoir à des principes qui le transcendent, elle a retenu de la tradition monarchique les fondements mêmes de notre droit politique, en confirmant que le pouvoir doit reposer sur une constitution et en proclamant des droits individuels depuis longtemps reconnus et garantis – notamment le droit à la sûreté (2)

LA RÉVOLUTION DE 89

Arrachée aux querelles entre les idéologues de la Monarchie et de la République, retrouvée dans son intégralité, l’histoire de notre droit, qui est aussi celle de ses carences, nous permet une réflexion très actuelle sur les conditions de la justice, mal assurée, et de la liberté, insuffisamment garantie. Les évolutions et les révolutions, dans notre société et dans notre droit, n’auront chance de se réaliser positivement que dans la mesure où il y aura remise en perspective de l’histoire de notre nation, du mouvement démocratique et de l’Etat. La célébration du Millénaire de la France, et nombre de travaux scientifiques, ont fait apparaître cette possibilité. Il serait désastreux que le bicentenaire de 1789 soit le prétexte de manifestations agressives, entre les « amis » et les « ennemis » de la Révolution française. Un mouvement « anti-89 » serait aussi absurde que la célébration de l’événement comme commencement absolu. On ne peut parler de la France si une part de son histoire est rejetée, si telle ou telle de ses familles spirituelles et politiques en est exclue. Sans nier les ruptures, sans effacer les tragédies, il faut, maintenant qu’elles sont accomplies, rechercher les constantes de notre projet, de l’an mil à nos jours, retenir ce qu’elles ont de fécond, transformer ce qui doit l’être. Cela ne se fera pas sans débat, mais, du moins, qu’on s’entende sur ses termes au lieu de se réfugier dans des mythes qui obscurcissent le passé et compromettent notre avenir commun.

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(1)    voir « Royaliste » 483 page 2

(2)    cf. « Les Chemins de l’Etat », Calmann-Lévy, 1986.

Editorial du numéro 483 de « Royaliste » – 24 décembre 1987

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